Réclamations sur une note en gymnastique, mode d’emploi

Jordan Chiles dans les bras de son entraîneur Cécile Landi. Photo IMAGO / Xinhua

La fin des épreuves de gymnastique artistique féminine, lors des Jeux Olympiques de Paris a été entachée par quiproquo et saisie du Tribunal Arbitral du Sport. Spot Gym revient sur la règlementation de la Fédération Internationale de Gymnastique concernant les réclamations.

Porter réclamation sur une note (uniquement la note D et les pénalités, en aucun cas sur la note E) est un droit accordé par le Comité Technique de la Fédération internationale à tous les gymnastes. Ce droit est cependant très encadré et réglementé, encadrement qui a été renforcé après les Jeux Olympiques de Londres où l’on avait vu un officiel japonais, billets à la main haranguer le jury supérieur.

Le classement du concours par équipe masculin en avait été modifié. Au-delà d’avoir fait descendre l’équipe de Grande-Bretagne sur la 3ème place, c’est la démarche et l’agitation de billets sur le plateau de compétition qui avait fait parler.

Capture d’écran NBC

Des règles et un timing à respecter
Lorsque l’on consulte la règlementation de la FIG, qui est également retranscrite dans le guide de la compétition, la marche à suivre pour effectuer la réclamation est très précisément décrite :

  • Elle ne peut s’effectuer qu’au profit d’un gymnaste de sa délégation (et non à l’encontre d’un adversaire),
  • Elle ne concerne uniquement la Note D ou les pénalités (temps, sorties).
  • La démarche doit être entamée dans le délai imparti.

La réclamation doit être adressée oralement aux juges affectés au bureau des réclamations qui se situe de part et d’autre de la salle. Par exemple, à Bercy un bureau se trouvait dans l’angle des barres parallèles et un autre entre le sol et la poutre/cheval d’arçons. L’information orale doit être transmise et enregistrée avant que le score du gymnaste suivant soit affiché.

Si le gymnaste est le dernier du groupe à se présenter, alors la réclamation doit être signalée dans la minute après que le score ait été affiché. C’est alors que le bureau des réclamations note l’heure à laquelle ils ont reçu l’information et la procédure est lancée.

Seul, l’entraîneur accrédité et présent sur l’aire de compétition peut effectuer la réclamation, et normalement, sans assistance extérieure. Toute réclamation ne respectant pas le cadre ne peut être recevable. Alors la réclamation doit être confirmée par écrit au plus vite, et au plus tard quatre minutes après que l’information verbale ait été notifiée.

Afin qu’une réclamation soit validée, le Comité olympique doit s’affranchir d’une somme d’argent (et plus d’espèce sur le FOP) selon la règle suivante :

  • 300 francs suisses (soit un petit peu plus de 300 euros) pour la 1ère réclamation de la compétition (NDLR pour les Jeux Olympiques la compétition comprend l’ensemble des concours du 1er au dernier jour)
  • 500 francs suisses pour la 2ème réclamation.
  • 1000 francs suisses pour la 3ème et les suivantes.

Il faut savoir que lorsqu’une réclamation est validée (c’est-à-dire que le score est revu à la hausse), le paiement de la somme est annulé et le décompte du nombre de réclamation reste inchangé. La somme est ensuite versée au fond de solidarité de la FIG.

La réclamation, lorsqu’elle est recevable, est donc examinée par le Jury supérieur de la compétition (présidé par le président du Comité Technique de la FIG de la discipline concernée, la liaison avec les juges de difficultés est assurée par le superviseur de chaque agrès).  La décision du jury supérieur ne peut être amendée et elle doit être connue au plus tard :

  • A la fin de la rotation pour les qualifications, la finale par équipe et la finale du Concours général,
  • Avant le score du gymnaste suivant lors des finales par agrès.

Il y a trois possibilités concernant l’évolution du score :

  • La note est revue à la hausse,
  • Le score est inchangé
  • Le score est revu à la baisse.
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Que faire lorsque la décision ne convainc pas ?
La décision peut être contestée auprès du tribunal Arbitral du Sport, néanmoins elle n’est pas suspensive. Et l’on se retrouve confronté à la situation ubuesque que la gymnastique olympique a montrée au monde entier. Le cas Barbosu/Chiles.

Ana Barbosu a d’abord célébré sa médaille de bronze au sol, sans savoir que la délégation américaine avait fait réclamation. Cette réclamation validée par le jury supérieur a permis à l’Américaine de se saisir du bronze et de goûter aux joies d’un point particulièrement savoureux.

La délégation roumaine, appuyée par l’influente et patriote Nadia Comaneci, a décidé de saisir le TAS qui devait statuer avant la fin de la quinzaine olympique.

L’histoire n’est pas simple car il y a eu plusieurs problématiques durant cette finale :

  • Le délai de la minute qui n’aurait pas été respecté par la délégation américaine (et qui aurait dû rendre la réclamation non recevable)
  • La note de Sabrina Voinea amputée d’un dixième pour une sortie litigieuse, selon l’angle de la caméra. Avec ce dixième supplémentaire elle obtenait le bronze, mais, pour autant, aucune réclamation n’a été officiellement faite sur ce sujet par la délégation roumaine.
  • Le fait que Jordan Chiles ait reçu et célébré sa médaille de bronze, avant de se la voir retirer.

Finalement le TAS se prononcera en faveur d’Ana Barbosu qui obtient officiellement la médaille de bronze, pour vice de procédure.

Chacun poussait pour une médaille de bronze partagée, plus d’un point de vue symbolique que sportif, car sportivement parlant, Sabrina Voinea aurait du être seule médaillée de bronze (avec 13,8) si la pénalité pour sortie de praticable ne lui avait pas été attribuée, devant Ana Barbosu (13,70) et Jordan Chiles (13,666, puisque la réclamation a été jugée comme non recevable).

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Ana Barbosu a reçu sa médaille de bronze le 16 août dernier. Photo IMAGO / Xinhua

Un questionnement sportif et éthique
La justice sportive, la justice morale, l’éthique, la faute de procédure, la faute de jugement… On se demande si c’est éthique de retirer la médaille à Jordan Chiles, on peut aussi se demander si sportivement il aurait été juste de la lui laisser ?

Que les 3 gymnastes soient récompensées du bronze pose également question : par quel mécanisme, d’autant qu’aux JO le départage est la règle lorsque la situation se produit ? Ici en aucun cas les gymnastes sont ex-aequo.

La santé mentale des sportifs est évoquée, effectivement c’est un facteur à prendre en compte que cet ascenseur émotionnel, pour chacune d’entre elle, ce sentiment d’injustice parfois, cette joie de connaitre le podium retiré à postériori, cette frustration de ne pas vivre le podium alors qu’on obtient au final la médaille. Quel quiproquo, indigne des valeurs prônées par l’esprit olympique.

Les sportifs, tous, doivent comprendre. Et c’est difficile bien évidemment. La performance doit être évaluée à sa juste valeur, les moyens scientifiques doivent être mis à disposition pour que les erreurs humaines soient réduites à néant et que les notes attribuées par le corps des juges soient le plus précises possibles. Néanmoins on peut aussi se demander si la multiplicité des critères techniques attendus pour valider un élément est humainement acceptable pour être fiable à 100%. Un œil humain peut-il réellement valider un saut lorsqu’il est exigé 3 ou 4 critères simultanés ? C’est une question que l’on est en mesure de se poser aujourd’hui.

Bien sûr l’objectif est que les juges soient infaillibles, mais ils restent humains. Ainsi, il faut tendre au juste équilibre entre la règlementation technique et la règlementation administrative qui oblige le contrôle permanent des critères extra sportifs.

Quoiqu’il en soit, il est compréhensible que chaque délégation défende ses intérêts propres et fassent appel à tous les recours possibles pour les défendre, qu’ils soient juridiques, administratifs ou humains. Cette démarche ne doit pas être blâmée, bien au contraire. En revanche, il est inadmissible d’assister à un ramassis d’insultes et de harcèlement sur les réseaux à l’attention des gymnastes elles-mêmes, déjà victimes directes de ces incidents. Chacune d’entre elles travaille intensément pour obtenir les meilleurs résultats possibles, dans un esprit sain et sportif, dans le respect des autres, et elles n’ont pas à subir ni des injustices sportives ni des injures pour quelque raison que ce soit. Cette situation, finalement ne satisfera malheureusement personne : ni les fervents supporters de la justice sportive, ni les amateurs de l’équité, et encore moins les humanistes qui souhaiteraient que toutes les gymnastes soient récompensées.

Une chose est certaine, après avoir entraîné les spectateurs et les passionnés dans la liesse et les prouesses olympiques, la quinzaine de la gymnastique se termine sur une note amère, avec des résultats obtenus à postériori, mettant en cause à la fois la performance sportive et son jugement humain mais aussi la santé mentale des gymnastes qui se voient au centre de combat administratifs qu’elles ne méritent pas. Aujourd’hui on aurait tendance à retenir cette fin autour des polémiques, alors que l’on a vécu une quinzaine riche en performances exceptionnelles, en maîtrise gymnique et en émotions, avec l’affrontement exceptionnels de deux jeunes femmes au sommet de leur art, Simone Biles et Rebecca Andrade, avec le couronnement de Kaylia Nemour qui à 17 ans, a tenu la pression de la favorite et s’est imposée, avec la fraîcheur de Carlos Edriel Yulo qui est entré dans l’histoire de son pays en arrachant les larmes d’émotions avec son doublé exceptionnel. Ce sont ces images que l’on voudrait retenir pour l’éternité.

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Membre de l'association des Femmes Journalistes de Sport

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