Alors que la “Petite Fée de Montréal” 1976 est à Paris pour suivre les Jeux Olympiques 2024, retour sur la jeunesse tout sauf féérique de la légende de la gymnastique grâce au livre de Stejarel Olaru, « Nadia Comaneci dans l’oeil de la police secrète » paru il y a quelques mois.
Sa présence faisait peu de doute. Nadia Comaneci sera à Paris pour les JO, histoire d’entretenir sa légende et de soutenir l’équipe de Roumanie. Très active sur son compte Instagram, l’icône des Jeux de Montréal a salué l’arrivée de la délégation tricolore le 22 juillet à bord d’un avion de la Tarom. L’appareil était décoré de la signature et d’une silhouette géantes de la gymnaste de 14 ans.
Avec les réseaux sociaux, sa vie et ses déplacements n’ont aujourd’hui plus de secret pour le grand public. Mais loin avant le web intrusif et récréatif, les moindres faits et gestes de Nadia étaient déjà épiés, compilés, commentés. C’est ce que confirme l’ambitieuse biographie « Nadia Comaneci dans l’oeil de la police secrète », publiée fin 2022 par Stejarel Olaru. L’auteur a été conférencier à l’Académie nationale du renseignement de Roumanie (2010-2019), secrétaire d’État au ministère des Affaires étrangères (2013-2014) et directeur général de l’Institut d’enquête sur les crimes communistes en Roumanie (2005-2010). Autant dire qu’il savait où puiser ses sources.
« Pour me documenter, j’ai cherché dans les archives roumaines et étrangères mais surtout dans les archives de la Securitate », explique le chercheur dans une vidéo de son éditeur, Robert Laffont Canada. « J’ai trouvé plus d’une cinquantaine de volumes et des centaines de milliers de pages contenant d’innombrables rapports de renseignement ainsi que des écoutes téléphoniques dont beaucoup ont été présentées à Nicolae Ceausescu. »
Comaneci et Béla Karolyi dans le viseur
Après son olympiade couronnée d’or (concours général, barres asymétriques, poutre) et auréolée du premier 10 de l’histoire aux JO, l’adolescente devient l’image de la Roumanie à l’étranger et une figure tutélaire qu’il convient de contrôler. Le pays est alors sous la férule du dirigeant Nicolae Ceausescu qui fait reposer une bonne partie de son autorité sur le travail de la police secrète, la « Securitate ». Ce département de la Sécurité de l’Etat a développé un vaste réseau d’informateurs qui va du voisin de palier à la présidente de la fédération de gymnastique. Surtout, elle a placé sur écoute tout l’entourage de la gymnaste à commencer par sa mère, Stefania, et son coach Béla Karolyi. Il s’agit d’abord de s’assurer que Comaneci est dans le bon environnement pour performer et que ses proches ne contreviennent pas à la bonne marche du socialisme. Mais la curiosité grandit et ce sont peu à peu les faits et gestes de l’athlète qui seront surveillés, de ses balades dans Bucarest à ses aventures en passant par son énigmatique mais plutôt fausse tentative de suicide en avalant de l’eau de Javel en 1977.
Le livre s’intéresse à un autre personnage clef de la légende. Il conforte plus que jamais l’image autoritaire de Béla Karolyi, cet entraîneur d’origine hongroise qui avait repéré la petite gymnaste d’Onesti, au nord-ouest du pays, quand elle n’avait que 7 ans avant de devenir entraîneur de l’équipe nationale olympique. Des heures et des heures d’enchaînements sous la pression verbale et parfois physique sont décrites par les indics de la Securitate. De même, l’extrême discipline alimentaire pour ne pas dire le sevrage des jeunes gymnastes est largement renseigné. On apprend à la lecture des écoutes que les gymnastes se plaignent régulièrement de leur sort et écrivent même un jour à Ceausescu himself afin de changer de coach. La réussite de Bela Karolyi le protègera longtemps de cette décision radicale et c’est finalement lui qui prendra la poudre d’escampette en 1981 lors d’une tournée aux Etats-Unis.
La peur de la fugue
La fuite à l’Ouest est précisément la crainte ultime de la Roumanie socialiste pour son étoile, Nicolae Ceausecu redoutant les effets dévastateurs d’une échappée de Comaneci pour l’image de son régime. Le cataclysme interviendra finalement à la toute fin du mois de novembre 1989 sans que la Securitate ne le voie venir. La gymnaste n’avait jamais émis le souhait de partir et n’avait jamais entamé de quelconque manœuvre suspecte lors de ses compétitions à l’étranger. Au terme de sa carrière, après les Jeux de Moscou 1980 achevés sur une frustrante médaille d’argent au détriment de l’URSS (la concurrence entre les deux régimes communistes est l’un des passionnants fils rouges de l’ouvrage), Nadia Comaneci aura moins d’autorisations de sortie du territoire. Elle sera invitée aux Jeux de Los Angeles 84 mais restera à quai pour Séoul 88. Sa frustration ira de pair avec la radicalisation de Ceausescu dans les années 1980 et pousseront la figure de l’olympisme roumain à fuir le pays.
Comme n’importe quel Roumain moyen, la jeune femme fera appel à un passeur, un berger qui lui fera traverser les champs entre Roumanie et Hongrie en compagnie d’une poignée de congénères. Le récit de cette cavale est une prouesse, il ouvre magistralement le livre qui reprend un ton plus universitaire par la suite. Le voyage est haletant, glacial, et l’arrivée à la frontière hongroise est à peine croyable. Olaru restitue à merveille la surprise des gardes-frontières quand la championne décline son identité. Le compte à rebours s’égraine en même temps que l’auteur donne les gros titres de la presse internationale. Un mois après la chute du mur de Berlin, le passage à l’Ouest de la petite fée de Montréal fait évidemment l’effet d’une bombe. Le régime Ceausescu s’en inquiète et lance une grande opération d’intimidation des proches de l’athlète, son frère et sa mère notamment, afin de dissuader Comaneci – finalement parvenue aux Etats-Unis – de se montrer trop critique.
L’opération durera une quinzaine de jours mais elle sera oubliée à partir de mi-décembre. Une révolte commence alors à Timisoara, non loin du lieu de passage de Nadia vers la Hongrie deux semaines plus tôt. Le début d’une Révolution sanglante qui renversera Nicolae Ceausescu et sa femme le soir de Noël 1989. Comme à son habitude, Nadia Comaneci avait donné le tempo.
Romain Bely