Homophobie dans le sport : un fléau sociétal, un tabou “comme ils disent”

Il y a quelques jours Ralf Schumacher agitait les paddocks en faisant son coming out. Annoncer son homosexualité est encore aujourd’hui un événement commenté voire parfois décrié. Le sport, à l’image de la société n’échappe pas à ce sentiment croissant d’homophobie latente et pernicieuse, qui se réveille aussi lorsqu’il s’agit de trouver son style vestimentaire.

75% de la population française (étude IPSOS) estime que le sport amateur est un environnement homophobe. Et il suffit parfois de lire les commentaires suivant les articles des quotidiens sportifs nationaux pour s’en persuader. On prône le sport comme espace respectueux et fraternel, mais dans les faits, il se situe entre tabou, cliché et hétérosexisme, avec une violence verbale, psychologique voire physique au-delà de l’entendable.

Vivre librement sa vie privée, sa sexualité devrait pouvoir être simple, et pourtant, dans le sport, comme dans la société c’est parfois un combat. 

Nager entre deux eaux
Les mentalités évoluent, en surface au moins. Lorsqu’Amélie Mauresmo révèle son homosexualité en 1999, elle est raillée par certaines de ses adversaires, elle est physiquement caricaturée par les médias, à commencer par la marionnette des Guignols de l’info. Une véritable omerta entoure l’homosexualité des sportives et sportifs. Une étude de 2012 (Cairns.info) démontre que dans le milieu sportif, les comportements envers les gays sont plus négatifs que dans les milieux non sportifs. Ce qui entretient la difficulté de s’assumer comme homosexuel dans le milieu du sport.

En 2008, Philippe Liotard interpelle sur les expressions utilisées dans le sport qui encouragent l’hétéronormativité et ce de façon répétée dans l’éducation latente à l’homophobie : « on n’est pas des pédés », « on va montrer qu’on en a », … ces expressions dans le langage courant des éducateurs ont tendance à faire éclore la négativité dans les esprits de jeunes en pleine construction identitaire. Ces discours, encore bien présents dans les gymnases, les stades ou les vestiaires de France et de Navarre, aujourd’hui, encouragent l’affirmation de la posture virile et les mises à l’écart de sportifs ciblés directement ou non. Ces éducateurs sont censés montrer l’exemple, et Cécile Chartrain, co-fondatrice de l’association Les Dégommeuses (dans Womansport) insiste sur le fait que « Tous les acteurs du sport, sans exception, devraient faire leur autocritique et être formés sur la question de l’homophobie : des présidents de clubs aux présidents de Fédération, les supporters, les sportifs eux-mêmes, les entraîneurs, les arbitres, et même les parents ! ».

On ne parle ici que de la vie interne aux clubs sportifs, sans évoquer les discours de pseudo supporters, alcoolisés ou non, dans les stades ou sur les réseaux sociaux, dont les discours homophobes sont parfois dénués de quelconque réflexion intellectuelle. A ce propos, une étude de 1994 (Herek) démontre que l’âge, le genre et le niveau d’étude sont en lien avec les propos homophobes : plus le niveau d’étude est élevé plus les attitudes sont positives. Néanmoins le niveau d’étude élevé n’exclut pas d’être homophobe et inversement !

Cette situation semble être légèrement différente dans le sport féminin, où la tolérance en interne semble être de mise. Mais comme on l’a vu avec Amélie Mauresmo, l’homosexualité féminine n’est pas toujours respectée, le plus souvent par des hommes qui sentent leur masculinité bafouée ou leur machisme mis à mal et qui se légitimisent à moquer, à ironiser ou, peut-être pire, à juger.

En 2013, lorsque Olivier Ciappa réalise sa série de photographies « les couples imaginaires » et expose ses clichés, il doit essuyer presque à chaque fois du vandalisme. Les photos sont celles de deux personnes du même sexe qui posent ensemble et complices, issues du milieu sportif, politique ou culturel. En France et à travers le monde, des dégradations homophobes sont observées sur les photos de Lara Fabian et Eva Longoria, Frédéric Bousquet et Florent Manaudou, Roselyne Bachelot et Audrey Pulvar ou encore Thomas Bouhail et Benoît Caranobe. Ces photos se veulent servir d’électrochoc, faire réagir face à l’homophobie, en plein débat sur le mariage pour tous, car l’homophobie est d’abord le symptôme d’une grande méconnaissance de l’homosexualité.

Benoît Caranobe et Thomas Bouhail ont posé pour Olivier Ciappa dans le cadre de sa série de photos “Les couples imaginaires” pendant les débats sur le Mariage pour tous.

L’homosexualité féminine et masculine, dans le sport en particulier, ne subissent les mêmes traitements. D’abord parce que le sport est un milieu étouffé par les clichés sexistes et la virilité exacerbée, ensuite parce l’homophobie dans le sport féminin se manifeste plutôt dans l’injonction au silence et à l’invisibilisation.

Marinette Pichon et Amélie Mauresmo, en France, ont essuyé les plâtres et n’ont jamais voulu se faire réellement porte drapeau de la communauté lesbienne, même si Marinette Pichon essaie d’avoir un discours un peu plus politisé. Depuis des joueuses comme Megan Rapinoe deviennent des figure politique, engagée dans la lutte pour l’identité lesbienne. Son engagement et son combat font d’elle un modèle dans lequel de nombreuses sportives peuvent aujourd’hui se reconnaître voire s’identifier. Le sentiment d’appartenance est très important, et nombreux sont les sportifs et sportives qui répètent que cette identification leur a manqué dans leur quête.

Cécile Chartrain précise que « l’homophobie ce n’est pas se faire traiter de « pédé » ou de « gouine ». C’est un ensemble de présomptions, d’attendus, et d’idées reçues qui font que quand tu es gay ou lesbienne tu ne vas pas forcément te sentir bien accueilli et tu ne pourras pas avoir tous les moyens pour t’exprimer dans ton identité intégrale ».

Alors des actions sont mises en place, le 17 mai est déclaré journée de lutte contre l’homophobie dans le sport, le ministère des sports s’empare du sujet en créant des outils au monde sportifs, en sensibilisant et éduquant, des documentaires sont réalisés, pour donner la parole à ceux qui veulent la prendre, pour transmettre les difficultés qu’ils ont rencontré, pour permettre d’offrir ce dont ils ont parfois manqué.

En 2018, à l’occasion des Gay Games en France, TV5 Monde titrait en déplorant encore que « Le sport est en retard ». Une participante à l’événement s’émeut sur le fait que même si on ne voit pas l’homophobie, «  on l’entend et on la sens à travers des paroles agressives ». Sur ce point elle est rejointe par un autre participant qui dénonce le vocabulaire qui, même si il est parfois employé de manière « amicale », il renvoie à une image toujours négative dont il est complexe de pouvoir faire fit.

En 2021, le documentaire de Canal+ « Il faut qu’on parle » a donné la parole à six sportifs français, ils y ont fait leur coming -out en expliquant les raisons de ne pas l’avoir fait avant, les difficultés auxquelles ils se sont heurtés, et surtout pourquoi il était nécessaire de s’exprimer et de combattre l’homophobie latente du monde sportif.

Depuis quelques années, un mouvement s’observe pour certaines quelques fédérations, pour tenter de faire que l’homosexualité ne soit plus un tabou dans le monde du sport. Le rugby par exemple profite de la Coupe du Monde 2023 pour mobiliser autour du programme « Rugby is my Pride » afin de « transformer l’essai » contre l’homophobie. Les champions aussi se mobilisent comme Antoine Dupont en couverture du magazine Têtu, en Juin 2024, où il déclare « Je doute fort qu’il n’y ait qu’un seul gay sur les terrains de rugby ». Mais cela est encore bien insuffisant, et surtout beaucoup trop de sports se sentent épargnés tant le tabou est immense.

Et dans la gymnastique, un milieu si traditionaliste
Cécile Chartrain souligne que « Faire son coming out ce n’est pas forcément demander le micro pour annoncer publiquement son homosexualité, cela peut être simplement de ne plus se cacher ».

C’est ce qu’ont décidé de faire ces dernières années quelques gymnastes de renommée internationale comme la championne olympique 2016, l’américaine Laurie Hernandez, la suissesse Ariella Kaeslin, l’américain Danell Leyva, ou le chilien Tomas Gonzalez, ou avant eux, le néerlandais Jeffrey Wammes.

Le sud-américain assure que ce fut difficile à écrire car sa famille était très traditionnaliste et que la société hétéronormative ne lui a pas simplifié cette annonce dans son autobiographie. Mais il juge que le monde de la gymnastique est machiste et homophobe, son objectif est simple : il veut disposer des mêmes droits que chacun, ne pas être un porte-parole, mais être considéré comme ses pairs.

De son côté Ariella Kaeslin, dénonce le fait que la gymnastique féminine est en fait une injonction à la féminité : « il s’agissait de toujours plaire aux autres » sans pour autant savoir ce dont elle avait envie. Elle avoue avoir sentie une énorme libération à la découverte d’une communauté queer qui permettait de promouvoir des images de femmes totalement libre alors que dans la gymnastique elle avait l’impression d’être confrontée qu’à des clichés de la féminité. Cette norme ancrée dans la gymnastique spécifiquement et qu’elle dénonce aujourd’hui comme de l’homophobie intériorisée, sentiments négatifs autour de sa propre sexualité, elle conclut par ces mots : « il est parfaitement normal de s’écarter de la norme ».

Le gymnaste australien Heath Thorpe est lui un porte-parole actif de la communauté LGBTQ+. Il interpelle le monde autour des préjugés anachroniques de la gymnastique mondiale. Il dénonce lui encore le paradoxe que la gymnastique soit un sport artistique et que les gymnastes masculins soient souvent ridiculisés et considérés comme efféminés. Dans l’esprit de l’environnement gymnique masculin, tout ce qui est artistique (saut et chorégraphie) apparait comme féminin et mal vu, voire rejeté activement par le comité technique. Il suffit là encore de prêter l’oreille au détour des couloirs pour entendre que la gymnastique pratiquée par l’australien ne correspond pas aux standards attendus par la Fédération Internationale et ses techniciens, juges ou entraineurs (alors même que le public est le plus souvent conquis de l’innovation et des nouveautés proposées.

Cette affirmation est corroborée par Michel Rouyer (réalisateur du film « sport et homosexualité, c’est quoi le problème ? ») qui dénonce le fait que « par définition les homosexuels masculins sont efféminés, ils n’aiment pas l’effort ou se salir, c’est l’image de la folle ». Ce cliché reste ancré, totalement homophobe et violent. Tout cela alors que la gymnastique masculine est également caractérisée par sa virilité exacerbée du corps et des esprits.

Tous s’accordent sur les difficultés de vivre, cette annonce, dans un sport marqué par une société hétéronormée et où il faudrait enfin pouvoir briser la culture hyper virile notamment autour de la Gymnastique artistique masculine.

Encore une fois tous s’accordent aussi sur le fait de libérer la parole, de dénoncer les actes malveillants, pour que les jeunes puissent non seulement s’identifier à des modèles LGBTQ+ dans le sport en général et la gymnastique en particulier, qu’ils puissent s’épanouir, et que les mentalités puissent évoluer afin de créer une nouvelle normalité inclusive, éthique et fraternelle.

Dannel Leyva déclare que ce sont ses coéquipières à Rio (Biles, Raisman, Hernandez) qui l’ont encouragé à s’affranchir du silence autour de son identité. Finalement il s’est beaucoup interrogé pour obtenir la réponse « votre identité est en constante évolution et vous n’avez pas à vous en soucier ». Un soulagement pour celui qui dénonce les stéréotypes qui s’abattent sur les gymnastes, et qui finalement étouffent ceux qui souhaitent s’épanouir quelle que soit leur sexualité.

Dans l’étude « Evaluation des attitudes des sportifs français envers les homosexuels : effet du genre et du type de sport » (revue STAPS 2012), il est nécessaire d’étendre l’étude sur les populations sportives plus jeunes évoluant dans des structures sportives cibles (centre de formation de la filière de haut niveau, car ce sont dans ces environnements privilégiés que les comportements le plus négatifs sont observés envers les gays et les lesbiennes.

La politique de l’autruche n’induit pas forcément que tout va bien, au contraire, que ce soit en France ou dans le monde, les témoignages de gymnastes internationaux le démontrent la gymnastique est touchée par l’homophobie, souvent même dans les plus hautes sphères de décision, mais aussi au détour des gymnases de quartier. Le vocabulaire choisit par des éducateurs, par des juges parfois bien au-delà d’être piètre, est blessant, homophobe, idiot, pour ne pas dire crétin.

Le sport se doit être le terrain d’épanouir le corps et l’esprit (« Mens Sana in corpore sano »), mais aussi de respect, de compréhension et d’intelligence.

Et que prévoit Paris 2024
En 2018, la ville de Paris organisait les 10èmes Gay Games. En 2024, le Comité d’Organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de la capitale française s’est engagé à livrer les Jeux les plus inclusifs de l’histoire : mettre en avant les droits des personnes handicapées, assurer le respect des droits des personnes de la communauté LGBTQ+ et sur la parité et l’égalité des sexes. C’est ainsi que pour la première fois de l’histoire la natation artistique s’ouvre aux hommes, par exemple. Dans le même temps, la Gymnastique Rythmique reste la seule épreuve olympique non mixte et, malgré des demandes incessantes et répétées la discipline demeure exclusivement féminine en compétitions officielles.

L’engagement est louable et chaque acteur devra s’engager à respecter les droits d’autrui. Mais dans le même temps, alors que le CIO avait autorisé la participation des sportifs transgenres lors des Jeux Olympiques de Tokyo, il a finalement annoncé abandonner cette politique à la discrétion de chaque fédération internationale. C’est comme cela que plusieurs fédérations, à commencer par la natation ont interdit la participation des athlètes transgenres.

Que ce soit dans les textes, sur le terrain ou encore pire, dans les vestiaires et sur les réseaux le chemin contre l’homophobie semble tortueux, sinueux et très long. Alors continuons à parler inclusion, éthique et respect, mais surtout que chacun agisse même à sa petite échelle pour endiguer ce fléau contraire aux valeurs humaines de liberté, d’égalité et de fraternité.

N’oublions pas que l’homophobie qu’elle soit de genre ou d’orientation sexuelle est un délit condamnable (y compris par des peines de prison, Loi de 30 décembre 2004) à condition que les actes soient dénoncés. Les victimes ont besoin de soutien, qu’il s’agisse de victimes directes ou indirectes de propos ou d’actes.

Il existe une plateforme de signalement à utiliser non seulement dans le cadre du sport, des Jeux Olympiques et Paralympiques mais à tout autre instant de la vie qui le nécessite.

Des actions en profondeur doivent être menées, notamment par les et dans les instances sportives sur la question du genre et de l’identité sexuelle mais c’est d’abord les mentalités, l’ouverture d’esprit et l’intelligence des acteurs qu’il faut faire évoluer. Les chartes à signer ne sont qu’une couverture bien mince.

Encore bien au-delà du genre ou de l’orientation sexuelle, c’est l’athlète Sasha Zhoya qui a déchainé la toile. En effet, dans un documentaire diffusé ce lundi soir, il demande d’opter pour une jupe lors du défilé de la cérémonie d’ouverture. Le choix de cet amoureux de la mode a été validé par la fédération, le Comité Olympique et les stylistes. Mais encore une fois, la société s’insurge et ne semble toujours pas prête à accepter ce qu’elle considère parfois comme hors des normes. Un déferlement de critiques homophobes et misogynes a accompagné l’annonce de ce choix empreint de liberté et de style. Et alors que ce choix ne devrait être uniquement une question de goût, cela devient une énième polémique instrumentalisée autour de propos homophobes. Le fashion faux-pas n’est pas à créditer à celui qui portera la jupe ! Mais ces Jeux Olympiques pourraient nous réserver de jolies surprises.

Pour aller plus loin :


Sources

→ Les Sportives – L’homosexualité dans le sport, entre tabou et clichés – Mejdaline Mhiri 01.10.2018

→ Womansport – Homosexualité dans le sport féminin, out mais pas trop – Floriane Cantoro 17.05.2022

→ Diversité-europe.eu – Le monde du sport se défait difficilement de son image homophobe – 21.09.2023

→ Ipsos – Une majorité de français considère les milieux sportifs comme étant homophobes 06.09.2023

→ Anestaps.org – L’homophobie dans le sport 17.05.2020

→ Cairns.info – Evaluation des attitudes des sportifs français envers les homosexuels : effet du genre et du type de sport – 2012

Betoerant – interview Tomas Gonzales

Tdg.org – Ariella Kaeslin – 2021

Têtu.com – Danell Leyva – 28.10.2020

Jocklife – Heath Thorpe

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Membre de l'association des Femmes Journalistes de Sport

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