Il a fait le buzz en réalisant un double ginger à la barre fixe. Une première mondiale dont la vidéo a fait le tour des réseaux ! Lui c’est Mathis Tressard, un gymnaste français de 20 ans licencié au club de Trélazé dans le Maine-et-Loire.
Son parcours
Mathis Tressard a débuté la gymnastique à l’âge de 6-7 ans à l’Elan 2000 Thouaré, non loin de Nantes. Il y est resté 2 ans avant de changer de club afin de suivre son entraîneur de l’époque qui partait entraîner au club FSCF de La Cambronnaise. Il commence alors à augmenter son rythme d’entraînement et à progresser. À son entrée au lycée, il rejoint le club de Lanester, où a notamment été formé Alan Moullec, médaillé de bronze au sol et en équipe cette saison avec l’équipe de France junior. Mais en raison du COVID, Mathis n’a pu faire qu’un an de compétition sur les trois années où il y est resté. Malgré tout, c’est là-bas qu’il passe un cap, progresse beaucoup et qu’il acquiert une très bonne technique. Après trois saisons passées à Lanester, il décide de retourner à Nantes où il s’est entraîné à La Nantaise avant de rejoindre le club de Trélazé, à côté d’Angers, il y a deux ans.
Il s’entraîne 4 à 5 fois par semaine, des sessions de 2h30-3h à chaque fois. En individuel, il a matché en Nationale A cette saison. En équipe, il s’est classé 4ème en Nationale B2, manquant le podium pour quelques dixièmes. L’année prochaine, il envisage d’arrêter le concours général afin de se concentrer sur ses 3 agrès forts : le sol, les barres parallèles et la barre fixe.
Développeur web dans la vie de tous les jours, Mathis Tressard arrive à combiner parfaitement ses temps d’entraînement avec ses missions professionnelles. Un emploi qu’il occupe en freelance et qui lui permet ainsi de gérer son emploi comme il l’entend et de pouvoir dégager le temps nécessaire pour s’entraîner suffisamment.
La genèse du double ginger
Ce que Mathis aime avant tout, ce sont les éléments qu’on ne voit pas souvent en compétition et les éléments acrobatiques. C’est ce qu’il aime voir et ce qu’il aime faire. Il essaie ainsi d’apporter une touche d’originalité dans les éléments présentés. C’est d’ailleurs sa source de motivation à l’entrainement, et c’est ce pour quoi il fait de la gym.
La barre fixe étant l’un de ses agrès forts, il a un jour tenté le double ginger (un double salto arrière avec un demi-tour) pour s’amuser. La première tentative était au mois de février. Dès les premiers essais, il n’était pas loin de la rattrape (de rattraper la barre, NDLR) ce qui l’a encouragé à continuer. Mais finalement, ça s’est ensuite un peu éternisé et avec la reprise de la compétition, il l’a un peu mis de côté avant finalement de le reprendre. Au total, il aura passé 16 séances dessus avec 250 passages, avec une rattrape qui s’est faite sur le 250ème passage.
Pour l’anecdote, il s’était dit que ce 250ème passage serait le dernier et que s’il ne rattrapait la barre, il arrêterait de le tenter… c’est finalement celui où il a rattrapé la barre. Il ne l’a ensuite pas refait, afin de rester sur cette note positive.
Le buz
Depuis qu’il a posté la vidéo, celle-ci a fait le tour des réseaux et du monde, suscitant beaucoup d’admiration. Une fierté pour le gymnaste de 20 ans qui se doutait que la vidéo serait reprise sur certains comptes spécialisés de gym mais qui ne s’attendait pas du tout à avoir autant de retours, notamment de la part gymnastes qu’il admire et qui ont pris le temps de le féliciter personnellement.
Une belle reconnaissance pour celui qui avait été déçu de ses résultats de la saison en compétition et qui lui a permis de prendre une belle revanche avec la réussite de cet élément en fin de saison, et ainsi de la terminer sur une note plus que positive.
Ses objectifs et sa philosophie
S’il vise des finales par agrès la saison prochain aux championnats de France, ses objectifs principaux restent néanmoins de continuer de se faire plaisir à l’entrainement en travaillant de nouveaux éléments à la salle. De nouveaux éléments plus acrobatiques qui lui permettent de s’amuser dans sa pratique, grâce à un nouveau code de pointage qui va désormais plus lui correspondre, qui va lui permettre d’évoluer vers des éléments qui l’ont toujours fait rêver et qu’il va enfin pouvoir commencer à travailler.
Attiré par l’acrobatie, par les éléments peu présentés en compétition, et étant plus autonome dans ses choix à l’entraînement, il compte ainsi encore plus se diriger vers ces éléments.
Le Tressard ?
Quand un gymnaste invente un élément, celui-ci peut entrer dans le code de pointage si la commission le valide et si, et uniquement si, le gymnaste le présente (et le réussit) en compétition internationale. Si Mathis l’avait présenté en compétition officielle, il aurait ainsi pu donner son nom à l’élément dans le code de pointage, et le double ginger se serait alors appelé “Le Tressard”. Mais aucune des deux conditions n’est à l’ordre du jour, d’autant que Mathis Tressard n’évolue pas sur le circuit international avec l’équipe de France, mais c’est ce qui rend le buz et la réussite de l’élément encore plus beaux et novateurs.
L’avis d’un entraîneur de haut-niveau, Rodolphe Bouché
“une prouesse acrobatique”
Ce qu’a fait Mathis est une prouesse technique et acrobatique, et c’est ce qui explique le buzz qui a suivi. Il s’est fait un petit plaisir à l’entraînement et derrière ça a fait le tour du monde. C’est une belle reconnaissance pour lui, surtout qu’il l’a rattrapé au bout de 250 tentatives !
C’est un élément qui n’a jamais été présenté en compétition. Un Japonais s’y serait essayé à l’entraînement mais sinon on ne l’a encore jamais vu. Dans les années 90-2000, certains s’étaient déjà essayés au double ginger mais ils l’avaient abordé différemment. Ce que fait Mathis, c’est un double arrière avec demi-tour à la fin, à l’époque ceux qui avaient tenté le double ginger le faisaient avec demi-tour dans la montée enchaîné d’un double avant.
La manière dont Mathis le fait est quelque chose de très compliqué car c’est un peu comme un double arrière en sortie avec un demi-tour mais près de la barre. C’est d’ailleurs ce qui rend ce lâcher atypique, mais aussi dangereux car le gym n’a aucune visibilité dans le sens où il voit la barre qu’au dernier moment. C’est un lâcher de barre sans vision, avec une rattrap qu’on qualifie de réflexe. Le gym a certes les sensations mais on reste malgré tout dans une rattrap réflexe. C’est ce qui rend la prouesse encore plus impressionnante, mais donc aussi dangereuse, car on peut prendre la barre en pleine tête ou en pleine poitrine.
Cette spécificité et cet atypisme de l’élément font qu’on ne risque donc pas d’en voir beaucoup en compétition car derrière, c’est aussi très difficile de relancer. Dans la construction du mouvement, c’est un élément compliqué à intégrer, avec un rapport “bénéfisme / risque” très déséquilibré. Son entrée dans le code de pointage, dans le cas qu’il soit présenter en compétition internationale, est également peu probable, même si on sait jamais, mais de part son aspect dangereux, il ne serait certainement pas codifié.
Il y a des éléments comme ça. À l’image du Radivilov au saut (lune triple avant). Parfois, certains gyms créent un élément mais celui-ci est tellement complexe que seul celui qui l’invente est capable de le faire parce qu’il a les particularités physiques ou acrobatiques qui lui permettent de le réaliser, mais que si d’autres s’essaient sans avoir ses particularités physiques ou acrobatiques, là ça peut devenir dangereux. On peut considérer ainsi le double ginger dans la forme réalisée par Mathis. C’est une prouesse technique qu’il a réalisé.
Mais c’est sympa ce buz, ça fait toujours plaisir pour les gyms d’être mis en avant, surtout que c’est un gym de club, donc ils ont peu de visibilité. J’ai eu l’occasion de discuter avec des entraîneurs qui le connaissent, et c’est un gymnaste qui est passé à côté du système pour X raisons, mais qui a des qualités acrobatiques bien prononcées, donc c’est sympa pour lui d’avoir cette reconnaissance. Surtout que ça a fait le tour du monde entier !
L’avis du juge, Fabrice Innocenti
“Un élément audacieux”
Ce lâcher de barre, le double salto arrière avec demi-tour et rattraper la barre, semble un élément compliqué à régler et très audacieux. Il est entre le Kovacs (double salto arrière par dessus la barre) et le ginger, avec un salto supplémentaire dans le cas présent. Les temps de préparation du soleil pour un kovacs sont verticaux, alors que pour les sorties ils sont plutôt horizontaux. Dans le cas de ce lâcher, il semble plutôt vertical comme un kovacs, mais en lâchant plus tôt.
Cela paraît assez difficile à régler pour être sécuritaire. Ne pas lâcher trop tôt comme une sortie, ou trop tard pour revenir sur la barre.
L’évolution de cet élément pourrait être envisagée en position carpée et pourquoi pas avec des rotations longitudinales, mais cela paraît à ce stade encore très théorique car pour que cet élément puisse être validé par la fédération internationale, il doit être exécuté sans chute dans une compétition FIG (coupes du monde, championnats continentaux, championnats du monde, jeux Olympiques, NDLR).
Je n’ai aucune idée de la valeur possible de cet élément, ni même si la FIG pourrait le valider un jour. Certain éléments jugés trop dangereux ne sont pas validés pour respecter la sécurité des gymnastes.
En tout état de cause, nous pouvons saluer le courage et l’originalité de ce gymnaste français pour arriver à réaliser un tel élément.