Les confidences bouleversantes de Valentine Sabatou

Les gymnastes sont de plus en plus nombreuses à se confier sur les pratiques abusives, les mauvais traitements ou le harcèlement moral et/ou sexuel dont elles se disent victimes. Américaines, Britanniques, Mexicaines, Suisses, Belges, les gymnastes de toute nationalité dénoncent. Des révélations qui émergent à travers le monde et qui se multiplient. Un mouvement, baptisé Gymnast Alliance, qui permet de dénoncer, témoigner, et de libérer la parole pour se reconstruire. Avancer. Sans toutefois parvenir à oublier.

En France, rare encore sont les gymnastes qui témoignent ouvertement. Certaines commencent à témoigner, des années après, mais de manière anonyme. Mais les langues se délient de plus en plus. Après les révélations d’Anne Kuhm sur ses troubles du comportement alimentaire, c’est au tour de Valentine Sabatou de se confier longuement dans une vidéo publiée sur Instagram il y a quelques jours.

Dans cet entretien, aussi bouleversant qu’émouvant, l’ancienne membre de l’équipe de France senior, passée notamment par l’INSEP, explique avoir été humiliée par son entraîneur, qui l’avait laissée tomber pendant une compétition. Une période où elle explique également qu’elle se trouvait “au fond d’un système” . Désormais installée en Suisse, la Landaise revient également sur un épisode qui marquera fortement sa carrière. Elle évoque en effet qu’en 2014, l’entraîneur nationale ne la croyait pas lorsqu’elle disait qu’elle avait mal quelque part… Valentine finira par se rompre le tendon d’Achille en septembre 2014 lors d’un test pour les Mondiaux, sur sa première diagonale au sol, et mettra un terme à sa carrière un an plus tard, en 2015.

Voici un extrait de son interview :

 

C’est la troisième fois en quelques mois qu’une gymnaste française témoigne à visage découvert sur ce qu’elle a subi au cours de sa carrière, sans toutefois citer de noms. Youna Dufournet, un des grands espoirs français de sa génération, se confie également sur son expérience. Elle explique avoir fait un burn-out et ne plus réussir à s’entraîner à une certaine période de sa carrière, avant de parvenir à rebondir à son arrivée à l’INSEP.

En mai dernier, quelques anciennes gymnastes françaises avaient également accepté de se confier sur notre site, mais de manière anonyme et toujours sans accuser nominativement, après les révélations de Laurie Hernandez sur les pratiques abusives de son ex-entraîneur Maggie Haney, suspendue de son rôle d’entraîneur pour les 8 prochaines années. Des témoignages bouleversants et glaçants que nous vous partageons à nouveau et qui correspondent à des faits subis lors de précédents cycles olympiques :

« Il y avait 2 groupes dans la salle : le groupe des « grosses » et les autres « normales ». Les remarques et insultes sur le poids étaient constantes : « grosses vaches », « obèses », « thons », « les grosses » étaient très utilisés pendant les entraînements. En stage, nos repas se composaient de pratiquement rien. Le matin, une tranche de pain avec un fruit et un yaourt nature, le midi des légumes à l’eau avec une escalope de poulet et un yaourt nature. Au dîner, un morceau de poisson blanc et un yaourt nature. Bref, rien. »

« En période de blessure, alors que le médecin m’avait arrêté et interdit les agrès, en entrant dans la salle je devais enlever mon attelle et m’entraîner malgré la blessure. Puis, je me faisais crier dessus parce que la blessure ne guérissait pas…En même temps, c’est un peu normal quand on s’entraîne dessus non ? »

« Tu n’as rien à faire en équipe de France, je ne sais même pas pourquoi je t’ai prise. » « 38 kilos ? Si tu pouvais faire 35 pour la compétition ce serait bien. Regarde tes fesses là je peux les pincer ce n’est pas normal » « 5 semaines d’arrêt ? Pour une déchirure ? Il y a compétition dans 2 semaines, ce n’est pas possible. » Malheureusement, ce genre de phrases était mon quotidien. Et je n’étais pas la seule touchée autour de moi, les autres filles avaient droit à leur dose quotidienne elles aussi. J’ai eu une amie qui a fait un championnat avec une fracture de fatigue. D’autres se faisaient traiter de vaches… Pourtant sur le praticable, on souriait, on s’accrochait et on continuait. Mais ce sont des phrases qui laissent des traces surtout à l’adolescence, et j’espère que plus de personnes oseront élever la voix pour dénoncer ces pratiques. Je ne dis pas qu’un entraîneur ne doit pas crier ni corriger évidemment, mais n’oublions pas que les sportifs sont des êtres humains et que certaines paroles vous marquent à jamais. »

« Un an après mon arrêt, j’ai eu un grand moment de dépression. J’ai commencé à aller voir un psychiatre. Et c’est à ce moment-là que j’ai ouvert les yeux sur la façon dont j’avais été traitée au cours de ma carrière. Le seul terme « harcèlement moral ». Quand on est encore dans le circuit, on ferme les yeux et on essaye d’ignorer les propos. Ce n’est que plus tard que l’on se rend compte que ça nous marque à jamais. Quand je repense à mes années de gym, il y a une partie que je laisse de côté. Ces moments où les entraîneurs ont eu des propos malsains (insultes, réflexions sur le poids…) ou des actions (te pousser de la poutre parce que tu as fait une faute ou raté un enchaînement, partir de la salle en pleine compétition en te laissant seule…). Et je repense aussi aux nombreuses blessures que j’ai eu avec cette phrase que j’entendais constamment « Sers les dents… Je ne veux rien savoir… Toujours à se plaindre celle-là… ». Aujourd’hui, je suis plus forte notamment grâce à tout ce que j’ai subi pendant mon adolescence. Mais tout cela laisse quand même des traces. J’essaye encore aujourd’hui de fermer les portes de ce monde malsain que je préfère essayer d’oublier. »

BATTUE PAR LES ORDRES, PAR LA RÉPÉTITION, PAR LES FRACTURES

« Est-ce un modèle ?
Le sport s’efface derrière la discipline. La discipline est enseignée.
Alors que le sport est l’expression corporelle par excellence, la discipline, elle, est effacement du corps. Elle est robotisation. Elle est obéissance, soumission. Nous sommes soumises à un devoir, un acte commandé par un homme. Assujettie par un homme d’âge supérieur. Le pouvoir est intense, l’influence augmente. On ne peut penser. On ne peut qu’obéir. C’est un modèle de femme battue. Battue par les ordres, par la répétition, par les fractures. Ce n’est pas acceptable pour des corps et des esprits en croissance. Ce n’est en aucun cas acceptable. C’est un crime. Un crime discret, car la discipline envenime. La discipline, comme machine dominante, inverse les rôles. La gymnaste veut de l’attention, veut la récompense du regard félicitant, elle absorbe la discipline. Il existe encore des systèmes totalitaires. Là où nous pensons l’héroïsme, se cache l’ordre. Il faut protéger ces corps sublimes, ces têtes pensantes, avides, pour que tout cela ne recommence plus. »

« Un jour à l’entraînement, je suis tombée violemment sur la tête. Je ne me sentais pas bien du tout et suis restée allongée quelques instants sur le sol. Mon entraîneur m’a ordonné de me relever et de refaire mon exercice de suite. »

« Il ne faut pas confondre exigence et méchanceté. Certains entraîneurs sont exigeants et cela est normal dans le sport du haut-niveau, mais ils restent humains. D’autres finissent par te détruire, et c’est cela qui n’est pas normal. »

Mais toutes les carrières ne sont pas marquées par cette triste réalité. « Heureusement, si certains entraîneurs peuvent être destructeurs, d’autres sont excellents, tient à préciser une ancienne gymnaste. Des entraîneurs compétents. Humains. Des entraîneurs, exigeants certes, mais qui t’entraînent dans le respect et qui ne cherchent pas à te détruire. C’est ce qu’on appelle les bons entraîneurs et ce sont eux qui nous permettent d’avoir une belle carrière. » Vice-championne d’Europe à la poutre en 2016, Marine Boyer remercie quant à elle dans un tweet publié ce jour d’avoir eu la chance d’avoir “toujours eu de bons entraîneurs“. Les histoires, les carrières et les époques se suivent mais ne se ressemblent pas.

Depuis quelques années, la Fédération Française de Gymnastique a mis en place des chartes comportementales pour que ces situations n’arrivent plus. Elle a également signé une convention avec l’association Colosse aux pieds d’argile, association de référence pour la prévention aux risques de pédocriminalité en milieu sportif. Des conventions qui permettent ainsi de limiter les comportements abusifs que peuvent subir certaines gymnastes au cours de leur carrière et d’ouvrir un dialogue qui a trop souvent été rompu.


Retrouvez la totalité de l’interview de Valentine :

 

 

 

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