À l’image de Marine Boyer ou Mélanie de Jesus Dos Santos, certain.e.s gymnastes décident de faire une pause dans leur carrière après leur participation aux Jeux Olympiques. Un moyen de décompresser et récupérer aussi bien sur un plan physique que mental. Psychologue du sport et ancienne gymnaste de haut-niveau en gymnastique acrobatique, Flavie Teste nous éclaire sur ce phénomène de plus en plus courant, mais qui reste encore parfois un peu tabou.
Gym and News : De nombreux athlètes décident de faire une pause dans leur carrière après les Jeux Olympiques, qu’est-ce qui peut expliquer ce besoin ?
Flavie Teste : Les Jeux Olympiques représentent l’objectif ultime d’une carrière. C’est le Graal pour la majorité des sportifs. Tout au long de cette période de préparation, physiquement et mentalement, l’athlète se dédie entièrement à cet objectif. C’est une période au cours de laquelle la pression est à son comble. C’est donc important de pouvoir relâcher la pression. Le corps a tellement été surmené, qu’une pause, même petite, est indispensable. Autant sur le plan physique pour décompresser et récupérer que sur le plan mental afin de faire redescendre toute la pression accumulée.
En effet, certain.e.s font seulement de petites pauses, d’un mois par exemple, tandis que d’autres s’arrêtent plusieurs mois. Qu’est-ce qui peut motiver le choix de la durée ?
Certains sportifs utilisent la période post-olympique pour apporter un peu de “fun” et de légèreté à leur quotidien. Un quotidien habituellement marqué par les entraînements et la performance. J’insiste sur le terme de légèreté car, il faut vraiment prendre conscience qu’aller jusqu’aux Jeux Olympiques est quelque chose d’extrêmement lourd. La trêve de certains sportifs peut se révéler très bénéfique pour repartir, créer un sentiment de manque. En ce qui concerne les gymnastes qui ont déjà une certaine expérience internationale, ces périodes de trêve sont également l’occasion de se retrouver en tant que femme, et plus uniquement en tant qu’athlète. Dans le cas de Mélanie de Jesus Dos Santos et Marine Boyer, qui sont deux jeunes femmes expérimentées, elles connaissent leur corps, leur temps de récupération nécessaire et optimal autant physique que mental pour ensuite repartir pleinement sur un cycle olympique. Ce phénomène n’est pas seulement réservé à la gym, on le retrouve dans nombreuses autres disciplines. À l’image par exemple de Teddy Riner, multiple médaillé international en judo, qui a besoin de couper un certain temps pour pouvoir ensuite se remettre totalement dans sa discipline. En réalité, il n’y a pas de mode d’emploi prédéfini concernant la trêve post olympique. Chaque sportif est à même de dire s’il a besoin de deux semaines ou d’un an.
Le risque de ne pas avoir envie de reprendre existe-t-il ?
Il peut arriver, notamment pour le cas des sportifs qui se sont déjà questionnés avant les Jeux, à savoir s’ils n’allaient pas mettre un terme à leur carrière à l’issue de Tokyo. Cette pause a aussi cette vertu de se poser les bonnes questions, et surtout de prendre enfin le temps de se les poser. À savoir, suis-je capable et prêt de repartir dans un cycle d’entraînement avec beaucoup de contraintes, de sacrifices, malgré les résultats à la clé. Tout ce questionnement peut se faire de façon personnel dans un premier temps, puis avec le staff dans un second temps. Il est possible que des questions arrivent, comme le fait de se demander si c’est normal de ne pas ressentir de manque. Dans ce cas-là, il faut accepter de les laisser venir. Il faut laisser faire les choses pour qu’ensuite, si l’athlète désire reprendre, il se sente inclus dans son projet et qu’il ne soit pas qu’un simple spectateur de sa carrière pour finalement arrêter définitivement deux mois après.
Que la trêve dure un mois ou un an, une trêve post-olympique peut donc être bénéfique… car soit elle permet de repartir de plus belle en étant reposé physiquement et mentalement, soit elle permet de se rendre compte que finalement il est temps d’arrêter ?
Exactement. Généralement pendant la période d’entraînement et de compétition, le sportif est associé à son côté sportif et à son engrenage de performance. Il arrive donc que parfois, quand il sort de cet engrenage de performance, il se retrouve avec l’individu qu’il est lui-même.
Le fait que les Jeux de Paris soient dans 3 ans peut-il avoir un impact sur la prise de décision des athlètes ? Peuvent-ils être tenté.e.s de s’engager dans un nouveau cycle olympique qui sera moins long que les autres ? Et surtout beaucoup moins long que celui de Tokyo qui a duré 5 ans ?
Le fait que les Jeux soient dans 3 ans et à Paris peut être un réel moteur pour les sportifs qui se questionnent sur leur avenir. Une expérience olympique reste unique, et cela peut rallumer la flamme. Mais si l’athlète avait vraiment décidé de mettre fin à sa carrière après Tokyo, tous les moteurs peuvent exister, s’il avait décidé de mettre un terme à sa carrière, il le fera peu importe ce qu’il y a derrière. Certains sportifs arrivent à une saturation physique et mentale. Aller aux Jeux est réservé à l’élite, et si le sportif a atteint ses limites, ça peut être difficile de se remobiliser même sur 2 ans et demi. Ce qui peut paraître court pour certains et long pour d’autres.
On parle de plus en plus du burn-out du sportif, ces pauses permettent-elles d’éviter d’arriver à ce stade de burn-out ?
En effet, le burn-out sportif est une notion que l’on emploie de plus en plus. C’est d’ailleurs assez tendance de mettre des mots sur tous ces phénomènes. Pour rappel, le burn-out est un épuisement professionnel qui est caractérisé par une fatigue intense et un désinvestissement accru à l’activité. Ce syndrome d’épuisement est considéré être la résultante d’un stress chronique lié par exemple, à une surcharge de travail, donc d’entrainement pour le sportif. Le burn out peut commencer par une surcharge d’entrainement mal géré. L’individu ne parvient ainsi plus à répondre aux exigences de son environnement professionnel, et voit son énergie, sa motivation et son estime de soi décliner. En tant que professionnelle de la santé mentale, je trouve ça très important de prendre en considération les différents états mentaux que le sportif rencontre, et surtout qu’il soit entendu et considéré. Ce qui est important, c’est que les entraîneurs soient sensibilisés à tous ces signaux. Ensuite, les trêves peuvent aider en effet à éviter ces périodes de burn-out… Mais je reste convaincue qu’il faille faire en sorte d’éviter d’en arriver là. Les premiers signes sont souvent manifestés des changements d’appétit, des troubles du sommeil, des difficultés à l’entraînement, des fractures de fatigue…
Avant le burn-out était une notion tabou dont personne ne parlait, aujourd’hui les sportifs osent en parler ? Qu’est-ce qui peut expliquer ces prises de parole ? Et comment faire pour éviter d’en arriver ce stade du burn-out ?
Aujourd’hui nous parlons même de la notion de burn-in et de burn-out. Le burn-out est de plus en plus complexe dans sa description, mais reste tout de même palpable dans le domaine sportif. Les sportifs parlent de plus en plus de la notion du mental et des facteurs qui sont associés à celui-ci. Le burn-out est mis en avant, mais également les violences sexuelles, les abus d’autorités etc. Les langues se délient au fur et à mesure. Malgré tout, les recherches dans ce domaine-là ne datent pas d’hier. Le domaine de l’entreprise est l’un des précurseurs dans la sensibilisation au burn-out. La France est un pays en retard sur l’importance de la santé mentale. On le constate sur le fait que par exemple le métier de préparateur mental n’est pas reconnu par l’État, ni même normé. Les athlètes sont de plus en plus suivis par des thérapeutes qui veillent à les accompagner à éviter ces états excessifs et ça, c’est une bonne chose.
Propos recueillis par Charlotte Laroche
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