Kaylia Nemour, le retour tant attendu

Représentant désormais l’Algérie, pays d’origine de son père, Kaylia Nemour (15 ans) a disputé sa toute première compétition sous ses nouvelles couleurs lors des championnats arabes qui se sont tenus du 2 au 5 octobre dernier à Oran. Récit d’une compétition réussie, au goût de délivrance.

Dix-huit mois d’absence et de patience qui auront débouché sur trois médailles (une en équipe et deux en individuelle), voilà le brillant bilan de la toute première compétition de Kaylia Nemour, ancienne internationale espoir française, dix-mois après avoir quitté tout plateau de compétition suite à une opération des deux genoux. Et c’est à Oran “la radieuse” qu’elle a fait son baptême du feu avec l’équipe d’Algérie, après des mois de bataille. Un dénouement heureux après une longue traversée du désert, où la sortie était plongée dans un épais brouillard.

C’est avec 14 centimètres de plus, beaucoup d’envie et d’assurance, que la sociétaire du club d’Avoine-Beaumont s’est présentée en compétition lors de cette édition des championnats arabes où 7 pays étaient regroupés. Aux côtés de son entraîneur de club Marc Chirilcenco et des entraîneurs nationaux Saaddine Hamici et Nadia Massé, Kaylia Nemour a débuté la compétition par le concours par équipe, servant aussi de qualifications pour les finales individuelles. Une première journée fructueuse qui s’est terminée par une victoire en équipe et la qualification en finale barres et poutre, ses deux agrès présentés. De quoi parfaitement lancer son retour tant attendu par elle en premier lieu mais également par tous les amateurs de gymnastique.

Car avant le début de la compétition, personne ne savait exactement quel niveau la gymnaste de 15 ans, absente depuis si longtemps des plateaux, allait avoir. Personne ne savait non plus ce qu’elle allait présenter comme mouvement. Et la surprise fut de taille car, en plus des nombreux centimètres pris, sa longue absence lui aura permis de préparer quelque chose de grand. Malgré quelques erreurs de jugement, une exécution un peu basse et une liaison qui n’aura pas comptée, Kaylia Nemour impressionne dès les qualifications, avec un mouvement aux barres qui affiche une note de départ de 6.4. Le ton était donné. Les images de son passage font le tour des réseaux sociaux et tout le monde est unanime : Kaylia Nemour est bel et bien de retour. En finale, elle fera encore mieux et survolera la compétition pour aller s’emparer de l’or avec près de 3 points d’avance sur sa principale concurrente, l’égyptienne Farida Dabour, deuxième. “On a eu une grosse progression entre les qualifications et la finale” , sourit son entraîneur Marc Chirilcenco. “Donc l‘histoire se termine bien car elle termine sur un très beau mouvement. Elle valide la note D qu’on avait préparé, c’est à dire 6.5, et on est sur une très très bonne note finale, amplement méritée.  Kaylia a présenté un mouvement extrêmement difficile qu’elle commence à bien avoir en main et c’est très positif pour la suite.”

Avec une note de départ à 6.5 aux barres, la gymnaste de 15 ans qui faisait ses débuts en senior se place ainsi en haut de la hiérarchie mondiale. “Le fait qu’elle n’ait pas pu faire de compétition a eu l’avantage de lui donner du temps pour préparer de nouveaux éléments et ça s’est vu sur son mouvement mouvement aux barres” , analyse le technicien avoinais avant de poursuivre : “On a eu du temps pour travailler les nouveaux éléments mais également pour les assembler, les peaufiner et rendre les choses propres et jolies. Et c’est assez incroyable car on ne l’avait pas vu depuis 18 mois et, là, elle sort une note de 14.7 en finale. Une des meilleures notes mondiales de l’année qui la place directement dans un Top 10 mondial.”

Après l’or décroché en équipe puis celui décroché en individuel aux barres, Kaylia avait encore la possibilité de glaner une nouvelle médaille, à la poutre cette fois-ci, agrès sur lequel elle s’était qualifiée malgré une chute sur son double pivot en qualifications. Un nouvel enchaînement préparé et répété pendant de longs mois sous l’égide de Gina Chirilcenco, sa deuxième entraîneur à Avoine. Une finale un peu plus compliquée qui débuta par une chute dès l’entrée. Mais Kaylia a su se remobiliser pour très bien terminer et aller chercher l’argent. Véritable compétitrice dans l’âme, elle aurait tout de même espérer mieux. “Je suis trop heureuse pour mes performances aux barres mais je n’ai malheureusement pas su réitérer lors de la finale poutre. Je vais continuer à travailler pour obtenir un meilleur résultat” , lance-t-elle les yeux déjà tournés vers l’avenir. Surtout que pour espérer se qualifier pour les Jeux Olympiques de Paris en 2024, la route est encore longue. Encore plus avec une interdiction de participer aux compétitions FIG jusqu’à l’été 2023 (elle a pu participer aux championnats arabes, la compétition étant non FIG, NDLR). Pour être à Paris, elle devra se qualifier via les championnats africains en 2024 en présentant le concours général ou via les étapes de coupe du monde par appareil. Mais pour le moment, Paris 2024 lui semble loin. Alors elle avance au jour le jour. Quant à savoir à quel moment elle envisage de revenir sur les quatre agrès, elle ne sait pas non plus, sa priorité étant de penser à elle et à ses genoux. “Pour le moment, il est encore un peu trop tôt pour Kaylia de présenter les 4 agrès” , éclaire sa mère, Stéphanie Nemour. “Nous ne souhaitons pas prendre de risques suite à son opération des deux genoux et nous préférons qu’elle prenne son temps. Son intégrité physique prime sur le reste.” Même discours du côté de Kaylia qui préfère y aller “progressivement” afin de “préserver (ses) genoux“.

Ses genoux. Ceux qui ont nécessité une intervention chirurgicale courant 2021 en raison d’une ostéochondrite et qui ont entraîné la suite qu’on connaît. Le point de départ de son changement de licence FIG. Car après voir attendu le feu vert du médecin fédéral français pour pouvoir reprendre l’entraînement puis la compétition (un feu vert qu’elle obtiendra pour les barres quelques jours après les championnats de France élite en juillet dernier, NDLR), Kaylia Nemour, qui avait déjà obtenu depuis quelques mois l’aval de son chirurgien et de son médecin du sport de longs mois, commençait à trouver le temps de plus en plus long, se sentant également de plus en plus incomprise. Ne comprenant pas pourquoi elle n’avait pas le droit de reprendre la compétition malgré l’accord de certains professionnels de santé, elle s’est alors mise en quête d’un avenir meilleur. D’un avenir qui lui permettrait de retourner en compétition. C’est ainsi que les premiers échanges avec l’Algérie, pays d’origine de son père, ont débuté. Si en premier lieu, son transfert n’a pas été accordé par la Fédération Française de Gymnastique, la Fédération Internationale de Gymnastique, saisie par la famille, le club d’Avoine-Beaumont et la Fédération algérienne de gymnastique, a ensuite tranché fin juillet 2022 et validé son transfert de licence FIG de la France vers l’Algérie, avec toutefois une interdiction de matcher sur toutes les compétitions FIG pendant un an. Le dénouement heureux d’une période difficile qui dissipait enfin l’épais brouillard dans lequel elle se levait chaque matin.

Alors ce retour à la compétition a eu un vrai goût de délivrance. “Elle était excitée avant de partir, un peu inquiète mais surtout excitée” , confie Marc Chirilcenco. “En arrivant, elle a pris la mesure des événements quand elle a vu la belle salle du Palais des Sports. A ce moment-là, on a senti un petit peu de tension et d’appréhension parce qu’elle avait surtout envie de bien faire. Et pour quelqu’un qui n’avait pas été en compétition depuis 18 mois, elle a très bien géré. Elle a présenté le mouvement qu’on avait préparé pendant plusieurs mois à l’entraînementC’est un enchaînement très très précis et elle le maîtrise plutôt bien donc je suis content qu’elle ait fait une belle finale.”

Des championnats arabes au cours duquel elle a rencontré des gymnastes et des nations qu’elle n’a jamais eu l’occasion de croiser auparavant. Une concurrence également moindre par rapport à ce qu’elle a pu connaître par le passé lorsqu’elle évoluait sous les couleurs de la France. À Oran, sept pays étaient représentés. “En senior, il n’y avait que l’Egypte comme concurrent direct et c’est vrai qu’on n’est pas habitué à ce genre de cas de figure” , analyse Marc Chirilcenco. “Mais peu importe qu’il n’y ait pas de grande concurrence, on était sur podium, au palais des sports, en retransmission sur la télé algérienne, et on a retrouvé une vraie ambiance de compétition. Et pour elle qui n’avait pas matcher depuis 18 mois, c’était important. Elle a pris les choses en main et c’est ce qui me fait plaisir aujourd’hui, c’est son attitude et son comportement” , complète-t-il. “Le mouvement, elle le connaît, il est répété, travaillé mais être capable de le faire au bon moment, c’est ça qui est important. Elle a cette grande qualité et ça devrait lui permettre de pouvoir continuer à progresser en terme de contenu. Ça fait une bonne base de travail pour les années à venir. Et cette compétition lui a permis de gagner en sérénité et de prendre confiance. Après un an et demi d’absence sur les plateaux, après tout ce qu’il a fallu gérer au quotidien, même encore aujourd’hui, avec les péripéties avec le médecin fédéral qui ne sont pas terminées d’ailleurs, le bilan est très satisfaisant. Et puis le niveau est ce qu’il est mais l’ambiance était très conviviale, chaleureuse, sans pression inutile et c’est ce qui a aidé Kaylia.

Même si la concurrence était moindre, la note obtenue en finale barres lui permet de se classer parmi les meilleures mondiales à cet agrès. Si chaque compétition est différente, avec un jugement différent, à titre d’exemple, 14.700 est la note obtenue par l’américaine Shilese Jones en finale barres des Internationaux de France il y a deux semaines. De quoi laisser présager de belles choses… Et réussir à le faire sur un retour à la compétition, après des mois d’absence en dit long sur son état d’esprit et sa soif de revanche. Telle une guerrière, elle s’est jetée dans l’arène sure d’elle et prête. Rien ne pouvait l’arrêter. “Depuis 18 mois, ce qu’elle vit est quelque chose de très difficile pour une athlète de haut-niveau puisqu’elle a été bloquée par le médecin fédéral  de manière très abusive, et qu’il a fallu attendre qu’elle ait son changement de licence et qu’elle puisse concourir sur une compétition qui n’était pas FIG, le président de la Fédération Française n’ayant pas autorisé à la libérer comme il a pourtant le droit de le faire” , précise le technicien avoinais. “Alors c’est sûr qu’il y a un règlement FIG qui existe, le président de la Fédération Française de Gymnastique répond d’ailleurs à la famille et au président algérien que c’est son droit, mais il a aussi le droit de la libérer. Une athlète de haut-niveau qui fait un choix de changement de pays, ça arrive tous les ans, dans toutes les disciplines sportives. Agir ainsi, ça ne rapporte rien, ni à l’équipe de France, ni à la Fédération Française. On n’est pas en opposition avec notre propre fédération, on a un différend avec les responsables actuels, et la nuance est importante d’ailleurs. Je suis licencié de la Fédération depuis 40 ans, je soutiens ma Fédération et je la soutiendrai toujours mais ce n’est plus la Fédération qu’on a connu il y a quelques années. On a malheureusement l’impression qu’elle n’appartient plus à ses adhérents.”

Loin de ce tumulte qui l’a tant atteint par le passé, à Oran, Kaylia a savouré chaque instant sous ses nouvelles couleurs. Elle qui éprouvait le besoin viscéral de retrouver le chemin des plateaux de compétition, véritable carburant de la vie de tout athlète. Un retour à la compétition qui signait la fin des galères dans lesquelles elle était enlisée et qui l’ont tant faites douter, pleurer, enrager même parfois, se sentant victime d’un système qu’elle ne comprenait pas. Une période au cours de laquelle elle a également appris à patienter. “On a fait une grosse préparation mentale avec Kaylia mais on lui a surtout appris à être patiente car on a vite compris qu’on allait avoir un planning long avant le retour à la compétition. Kaylia sent bien les choses, elle fait les choses assez facilement mais le plus dur pour elle a été d’attendre et de répéter” , livre le technicien avoinais.

Une période au cours de laquelle elle a également connu un grand changement avec un pic de croissance qui ferait taire toutes les statistiques. “J’ai pris 14 centimètres en un an” , sourit Kaylia. Une poussée de croissance qu’elle a parfaitement su gérer sur les agrès et à l’entraînement. “J’ai su m’adapter” , lance-t-elle. Et Marc Chirilcenco de compléter : “Elle est grande, c’est une gymnaste longiligne, ça lui donne une belle ligne de jambes, un bon fouetté et elle a très bien su s’adapter. En réalité, elle s’est adaptée au fur et à mesure de sa croissance et ça ne lui a pas causé de souci.

Finalement, à Oran, elle bluffera tout le monde. Sur les réseaux sociaux, les images de ses passages tournent en boucle. Elle est félicitée, plébiscitée. Le soutien qu’elle reçoit est incroyable. Un soutien qui réchauffe car Kaylia ne savait pas comment les gens allaient accueillir son changement de licence. “Ça me fait hyper plaisir” sourit-elle. “Je suis soulagée que tout le monde accepte mon projet. Car pour moi revenir sur les plateaux de compétition, c’est du pur bonheur, même s’il y a du stress !

Du stress, de la pression mais surtout beaucoup de plaisir qu’elle a partagé avec une nouvelle équipe. “Elle a été très bien accueillie” , sourit Marc Chirilcenco. “Les gens ont été très contents de l’accueillir. Alors pas uniquement pour ce qu’elle peut rapporter à l’équipe, car c’est sûr qu’elle peut leur rapporter des points que l’équipe d’Algérie n’avait pas, mais elle a aussi retrouvé une ambiance, entre guillemets, de club. Une ambiance libérée, sans pression inutile, et c’est ce qu’il faut à Kaylia. C’est ce qu’elle recherche et ce dont elle a besoin pour pouvoir avancer.” Si elle dispose désormais d’une licence FIG algérienne, elle reste toutefois toujours licenciée au club d’Avoine-Beaumont avec qui elle pourra retrouver les plateaux de compétition en Top 12 cette saison, aux côtés de ses copines de club, Carolann Héduit, Léa Franceries, Elena Colas, Claire Pontlevoy, Maeva Guery ou encore Perla Denechere. Une reprise du Top 12 qui signera alors définitivement la fin d’un chapitre qui lui aura laissé un certain goût d’amertume.

 

 

 

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