Gamba, la gymnastique au coeur du premier roman de Sophie Tavert Macian

Pour son premier roman, Sophie Tavert Macian plonge le lecteur dans les coulisses de la gymnastique de haut-niveau. Un roman authentique qui soulève les bonnes questions.

Gamba ! Qui n’a pas déjà entendu ce mot descendre des tribunes en compétition ? Trois consommes et deux voyelles prononcées par les gymnastes pour encourager leurs coéquipiers, leurs coéquipières. Ce petit mot de cinq lettres qui parle à tous ceux qui suivent de près ou d’un peu plus loin la gymnastique, méconnu pour certains, mais qui en réalité signifie tant. « Gamba », c’est aussi le titre du premier roman de Sophie Tavert Macian, paru aux éditions Belfond. Un roman qui suit les aventures de Maëlys, débarquée de l’Île de la Réunion pour poursuivre son rêve d’équipe de France en métropole. Gymnaste de 17 ans qui s’entraîne au Pégase, un grand centre d’entraînement où évoluent les plus grands champions, Maëlys, aussi talentueuse que combattante, vise une sélection pour les Jeux Olympiques. Un chemin vers son graal qui semblait tout tracer… jusqu’à ce jour où son intimité a été violée. Au fil des pages, on la suit à l’entraînement et au-delà, le tout avec une grande justesse dans le choix des mots. Rencontre avec l’écrivaine.

Sophie Tavert Macian. Photo Chloé Vollmer-Lo

Spot Gym : Vous venez d’écrire votre premier roman, pouvez-vous nous parler de sa genèse ? De son processus de création ? 
Sophie Tavert Macian : Avant de me lancer dans l’écriture, j’ai été scénariste-réalisatrice pendant 15 ans. J’ai porté des projets de fictions, des courts et des longs métrages dans des genres très différents, et à l’occasion d’un court-métrage d’animation qui a été particulièrement visible après avoir été short-listé aux Oscars en 2021, un éditeur est venu me chercher avec mon co-auteur pour adapter ce film en album illustré. C’est à ce moment-là que j’ai basculé du côté de la littérature. Au cinéma, on ne rentre jamais dans la tête des personnages, on les incarne mais on ne rentre pas dans leur tête. Pour la première fois, je rentrais dans la tête d’un de mes personnages et j’ai trouvé cela absolument génial. La bascule s’est faite ainsi. L’embryon de Gamba est né à ce moment-là, puisqu’il s’agissait d’être dans le corps et dans la tête de cette athlète de haut-niveau. Cette perspective ouvrait alors tous les champs des possibles et c’est comme ça que je me suis engagée dans Gamba en tant qu’objet littéraire afin de pouvoir mieux retranscrire ce que vivait le personnage.

À quelle période s’est faite cette bascule vers la littérature ?
En 2020. C’est en tombant sur un documentaire sur Larry Nassar, l’ex-médecin américain coupable d’agressions sexuelles, que tout a démarré. « Gamba » est parti de la découverte que, parmi les victimes de ce docteur américain, il y avait de grandes championnes, de grandes personnalités gymniques, et de ce paradoxe immense de se dire qu’alors que Simone Biles était sur les praticables à gagner des médailles, dans les coulisses il se passait toutes ces choses horribles avec le médecin national.

Quel lien entretenez-vous ou avez-vous entretenu vous-même avec la gymnastique ?
Ma soeur était une petite fille hyper active qui bougeait et sautait partout. Ma mère a donc cherché une activité qui lui aurait permis de se défouler et de canaliser son énergie. Un peu par hasard, on a été inscrite dans un club de gym à Clermont-Ferrand car il y avait un créneau qui correspondait à l’emploi du temps de ma mère et aux nôtres. Ce qui est drôle, c’est qu’encore aujourd’hui, je me souviens très bien de la première fois où nous sommes entrées dans la salle de gym ma soeur et moi. On a vu des filles rebondir sur une piste d’acrobatie et on s’est dit : ‘c’est génial ! C’est ça qu’on veut faire !’ C’est comme ça que tout a commencé.

Combien de temps avez-vous pratiqué ?
J’en ai fait pendant 10 ans, mais c’était assez tranquille ! Je me suis vite rendue compte de mes limites et que je ne pourrais jamais en faire en haut-niveau, mais j’aimais vraiment ce sport. Ma soeur, en revanche, était extrêmement douée. Elle a été approchée par le pôle de Saint-Etienne et aurait même dû y entrer. À l’époque, elle était en duo avec Maud Collas (remplaçante aux Jeux d’Athènes en 2004, et participante à la dernière saison de Koh Lanta, NDLR), elles étaient comme des “Twins”. Elles étaient toutes les deux prises au pôle de Saint-Etienne, Maud y est allée mais ma soeur n’a pas voulu partir. Elle ne se voyait pas quitter son cocon familial. Elle a alors continué de pratiquer la gymnastique en club, avant de faire du trampoline à un très bon niveau et maintenant elle est circassienne. En ce qui me concerne, même si je n’ai pas fait de haut-niveau, c’est quelque chose qui m’a toujours fait rêver, écrire un roman sur la gym était donc une évidence pour moi.

On ressent cette connaissance du milieu de la gymnastique, avec une précision dans les mots utilisés, des mots qui sonnent juste, une précision également dans l’utilisation des termes techniques, de détails pour évoquer les sensations à l’entraînement, les émotions. Tout ceci, vous le tirez de votre histoire personnelle en tant qu’ancienne gymnaste ?
Bien sûr, l’un de mes piliers était ma connaissance de la gymnastique dans mon propre corps, ce que j’en connaissais, mais pour « Gamba », il a quand même fallu que je fasse un gros travail de documentation. Je n’avais jamais mis les pieds dans un pôle, il a fallu que je me documente sur leur fonctionnement, sur le fonctionnement de la fédération aussi. J’ai lu beaucoup d’articles sur la gymnastique notamment sur Spot Gym, qui s’est révélé être une mine d’informations incroyables. Pendant plusieurs mois, j’ai également suivi toute l’actualité de l’équipe de France senior, Marine (Boyer), Mélanie (De Jesus Dos Santos), Lorette (Charpy), Coline (Devillard), … Coline que j’ai d’ailleurs croisée par hasard dans un TGV un jour et à qui j’ai pu poser beaucoup de questions. Une rencontre impromptue qui m’a beaucoup aidée dans la poursuite de mon roman. J’ai également pu échanger par téléphone avec Juliette Bossu, juste après qu’elle ait quitté le haut-niveau. L’heure que j’ai passé avec Juliette a d’ailleurs été décisive…

C’est-à-dire ?
J’étais dans cette vieille croyance de me dire qu’il y avait beaucoup de concurrence entre les filles, et Juliette m’a expliqué que ce n’était pas du tout le cas, m’indiquant qu’elles étaient toutes des soeurs de sueur et de sang, qu’il y a beaucoup de solidarité entre les filles. Alors évidemment les affinités sont plus fortes avec certaines, qui finissent par devenir des amies, mais il y a beaucoup moins de concurrence que ce que l’on pourrait croire. Cette discussion avec elle a vraiment changé une grande partie de mon approche et donc du roman puisque c’est finalement devenu un roman de sororité.

Toute cette partie de documentation a duré combien de temps ?
Elle a duré longtemps car en réalité je l’ai faite tout le long de l’écriture. Même quand j’étais en rédaction, j’avais besoin d’y retourner, d’être en connexion avec ce qu’il se passait, avec ce que pouvait vivre les filles. C’est une période où j’étais également beaucoup sur Instagram afin de m’imprégner un peu de ce qu’elles publiaient sur leur quotidien, et également toujours beaucoup sur Spot Gym. C’était devenu un réflexe que j’ai d’ailleurs gardé encore un peu maintenant. Mais avant de commencer la rédaction, il y a tout de même eu un gros travail de documentation qui a duré environ 6 mois.

L’approche des Jeux Olympiques de Paris 2024 a-t-il été un élément déclencheur pour la sortie du roman ? 
Il y a eu un moment où je suis rentrée dans le projet de manière très intense. C’était deux ans avant les Jeux Olympiques de Paris 2024, je me suis dit qu’il fallait que mon roman sorte avant le début de la compétition et je suis donc rentrée en rédaction intense en octobre-novembre 2022 avec cet objectif de pouvoir démarcher les éditeurs à partir du printemps 2023. Les choses se sont très bien goupillées car une fois la rédaction terminée, je n’ai pas eu de difficultés à trouver un éditeur.

« Gamba » est publié aux éditions Belfond, une maison d’édition réputée, comment les choses se sont faites ? 
Pour m’étayer un peu dans cette nouvelle discipline qu’était la littérature, j’ai fait une petite formation en distanciel avec Aleph écriture et la romancière Marianne Jaeglé. Elle m’a tout de suite dit qu’il y avait une écriture du corps qui était très intéressante dans mon projet et c’est ce soutien qui m’a permis de tenir. Un jour, elle m’a parlé d’un dispositif qu’elle avait mis en place pour la première fois et qui était de pitcher son roman devant des éditeurs à condition que le manuscrit soit terminé. Je lui ai envoyé mon manuscrit en avril 2023 et un mois plus tard je me suis retrouvée à présenter « Gamba » devant six éditeurs, dont Belfond. Ensuite, tout s’est enchaîné très vite. Magali Langlade, directrice littéraire chez Belfond, a repéré le texte et trois semaines après j’avais trouvé ma maison d’édition. Les planètes étaient vraiment bien alignées.

À quel type de lectorat s’adresse « Gamba » ? 
Au départ je dois avouer que c’était un texte que je voulais écrire pour les jeunes lecteurs et lectrices, et potentiellement gymnastes. Et puis au fur et à mesure que mon projet avançait, je me suis rendue compte que mon projet était peut être trop frontal pour de la littérature Young adult (jeune adulte, NDLR), mon texte s’est alors déporté sur du tout public, et plus uniquement pour les 15-20 ans.

Vous êtes également réalisatrice scénariste, avez-vous pensé à une adaptation cinématographique ? 
Non ce n’est pas quelque chose que j’ai en projet. « Gamba » est mon premier roman, c’est un projet dans lequel j’y ai mis beaucoup de coeur, une partie de moi, comme pour tous mes projets, mais pour « Gamba » c’était différent. Je suis entrée dans la tête et dans le corps de mon personnage, et je n’ai pas envie de dénaturer les choses.

Quel retour avez-vous eu depuis la sortie de votre roman ? 
J’ai de très bon retours concernant le roman en lui-même, mon écriture, notamment de gens qui ne sont pas acquis à ma cause et pour qui la gym n’est pas un domaine qui leur plait. Lorsque ces personnes-là me disent qu’au bout de 10 pages, ils se sont fait embarquer, pour moi c’est la plus belle des victoires.

D’autant que « Gamba » n’est pas uniquement un roman sur la gym en réalité, il aborde un sujet bien plus profond ? 
Oui tout à fait, ce n’est pas qu’un roman sur la gym, c’est bien au-delà. Mon vrai défi était de faire rentrer les réticents dans un univers et de les y embarquer. C’était mon challenge de romancière, tout en mettant le doigt sur un phénomène qui existe dans le milieu du sport, dont les athlètes sont les premières victimes, et qu’il ne faut plus taire.

Propos recueillis par Charlotte Laroche

 

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