À 37 ans, Anthony Ehret a déjà vécu plusieurs vies : athlète prometteur stoppé par les blessures, artiste chez Disney, entraîneur en France, au Canada puis en Belgique. Ce passionné de gymnastique partage avec franchise et humilité un parcours jalonné de défis, de rencontres marquantes et de rêves en mouvement.

Spot Gym : Pour commencer, pouvez-vous revenir sur vos débuts et sur la manière dont a commencé votre histoire avec la gymnastique ?
Anthony Ehret :
J’ai débuté la gymnastique en Alsace, à Gym Saint-Louis, là où je suis né. J’ai commencé jeune et j’ai rapidement réussi à me démarquer. A l’époque, en fonction de son niveau, on avait la possibilité d’être surclassé, ce qui a été mon cas et pour mes premiers championnats de France, j’ai été sacré champion de France. Ensuite, j’ai intégré le Pôle France d’Antibes en 1998. J’avais 10 ans. C’est là que tout a vraiment commencé à basculer vers le monde du haut-niveau. 

Avec vos premières sélections en équipe de France qui sont arrivées…
Oui, j’ai été sélectionné en équipe de France espoir, junior et senior. J’ai obtenu 25 podiums aux championnats de France élite et 6 podiums internationaux. 

À l’époque, qui ont été vos entraîneurs et vos partenaires d’entraînement sur Antibes ?
Lorsque j’ai intégré le Pôle d’Antibes en 1998, je me suis entraîné avec Thierry Campos, puis ensuite Jacques martin durant mes année junior, puis Philippe Carmona en senior, en trio avec Jean-François Blanquino et Claude Carmona. Concernant mes partenaires d’entraînement, je ne pourrai pas tous les citer, mais je me suis entraîné avec Hamilton Sabot, Yann Rayepin ou encore Samir Aït Saïd. 

Et puis finalement, les blessures ont freiné votre ascension….
Oui, j’ai été particulièrement touché par les blessures. J’ai été opéré deux fois du coude, deux fois de l’épaule et une fois au doigt. En parallèle, j’ai accumulé de nombreuses autres fractures et fissures, souvent en pleine préparation finale d’une compétition. Parfois, je me blessais deux semaines avant le départ, c’était très dur. J’ai manqué beaucoup de sélections importantes à cause des blessures, dont les Jeux Olympiques de Londres en 2012. J’étais dans le collectif de préparation mais une nouvelle opération de l’épaule est venue tout remettre en question. 

De gauche à droite : Laurent Guelzec, entraîneur national de l’époque, Hamilton Sabot, Anthony Ehret, Arnaud Willig et Benoît Baguelin, juge. Photo DR

C’est là que vous avez commencé à envisager une autre voie ?
Exactement. J’avais un rêve depuis longtemps : intégrer le Cirque du Soleil. J’avais passé les auditions dès 2009 et depuis j’avais gardé contact avec eux. Quand la blessure à l’épaule m’a éloigné des JO, j’ai saisi une autre opportunité et je suis parti travailler chez Disney, sur le spectacle Tarzan. C’est là-bas que j’ai commencé ma carrière artistique et j’en suis très heureux. Un entraîneur venant du Cirque du Soleil à Las Vegas y travaillait. Malheureusement, j’ai eu une grosse hernie discale qui m’a obligé à me faire opérer du dos. À partir de là, ma pratique sportive et artistique a pris fin, mais je suis tout de même resté lié au Cirque du Soleil malgré tout. Même si j’ai dû décliner certaines propositions de contrat artistique à cause de mon dos, j’ai toutefois travaillé pour eux en tant que partenaire casting, à Lyon, pour le recrutement d’artistes européens. C’était une belle expérience. 

Votre carrière dans l’artistique écourtée, qu’avez-vous fait ensuite ? C’est à partir de ce moment-là que vous avez bifurqué vers le monde de l’entraînement ?
Oui, avec ma femme nous sommes retournés en Alsace. J’ai pris un poste de responsable technique à Gym Saint-Louis, où j’ai entraîné pendant 8 ans. J’étais aussi responsable de la filière haut-niveau pour la région Alsace pendant 3 ans. On commençait à vraiment performer au niveau national, avec des athlètes qui entraient sur les structures. Mais j’avais des ambitions plus grandes, avec cette envie de vivre une expérience sur le continent américain. En 2019, on a pris la décision avec ma femme de partir pour le Canada.

Comment s’est faite cette transition ?
En avril 2019, on est partis une semaine pour repérer. J’avais contacté des clubs là-bas, et deux étaient intéressés. Finalement, j’ai choisi le club Dynamix, à Montréal. L’objectif était clair : apporter mon expérience pour aider à franchir un cap, en développant le secteur masculin. J’ai été nommé conseiller technique GAM.

Et le projet a porté ses fruits ?
Oui, vraiment. Dès notre arrivée en août 2019, on s’est lancés dans une belle aventure. Plusieurs gymnastes se sont qualifiés aux championnats canadiens. Deux d’entre eux, Victor Canuel et Nathan Yvars, sont entrés en équipe nationale, junior pour tous les deux, puis également senior pour Nathan.

À quoi ressemble le système au Canada ?
C’est différent de la France où il n’y a pas de structure de haut-niveau, ni de centre national. Il y a un entraîneur national, Eddie Van Hoof, ancien entraîneur de l’équipe britannique sur le cycle olympique de Londres 2012, mais ce sont les clubs qui forment les gymnastes de A à Z. Ce sont eux qui créent leur programme avec cet objectif d’amener certains athlètes jusqu’à l’équipe nationale. On récupère souvent les gyms dès l’âge de 4 ans et ensuite c’est à nous de les mener jusqu’à l’équipe nationale. Et au Canada, lorsqu’un athlète entre en équipe nationale, l’entraîneur intègre automatiquement le staff nationale, ce qui m’a permis de m’y impliquer activement. 

L’importance du rôle des clubs vous a également permis d’enrichir votre expérience ?
Oui tout à fait, car on doit également monter un club qui tient la route financièrement, car il n’y a pas de subventions là-bas. Il faut donc qu’on soit autonome, tout en ayant la possibilité de faire du très haut-niveau. C’est d’ailleurs ce qui apporte une certaine richesse aux clubs. Cela nous oblige aussi à maîtriser tout le parcours de formation. 

Vous expliquiez avoir débuté au Canada au club du Dinamix, vous êtes toujours restés là-bas ?
Non, après les panaméricains juniors, j’ai eu l’opportunité d’intégrer le Centre Sablon, un club 100% masculin situé sur l’île de Montréal, avec une histoire olympique très forte. 13 gyms ont participé aux Jeux Olympiques. J’occupais le poste de directeur technique adjoint, en charge des juniors et seniors, en collaboration avec Kader Mecellem, juge international qui a d’ailleurs jugé aux JO de Paris 2024 cet été. On avait un très bon groupe, avec plusieurs gymnastes dans le collectif senior.

Quels souvenirs gardez-vous de toute cette période canadienne ?
Cette expérience au Canada nous a beaucoup apporté. Je suis tout simplement tombé amoureux du Canada. C’est un pays riche humainement et sportivement. Et devoir se battre pour être performant pour l’équipe nationale canadienne me tenait à coeur. J’ai découvert d’autres façons de faire de la gymnastique, des programmes différents de ce que j’avais pu connaître en France, et j’ai énormément appris. Pendant 5 ans, j’ai eu la chance d’entraîner aux côtés d’Adrian Balan, l’entraîneur de William Emard et Félix Dolci. Une vraie source d’inspiration. Travailler à côté de ce genre d’entraineurs, ça nous donne un bagage énorme pour notre suite de carrière. Et en parallèle de l’équipe nationale canadienne, j’ai aussi travaillé avec la Fédération québécoise, qui est d’une énergie incroyable et qui cherche à donner corps et âmes pour satisfaire ses adhérents par différentes actions mises en place.  

Pourquoi avoir fait le choix de rentrer en Europe ?
C’est un choix familial. En 2023, notre fille est née au Canada pendant l’été. Elle a la nationalité Canadienne. Mais la distance avec la famille a commencé à peser. On s’était dit que si un beau projet européen se présentait, on y réfléchirait alors sérieusement. En avril 2024, j’ai appris que la Belgique cherchait un responsable junior pour son centre national côté francophone à Mons. J’ai postulé et ils m’ont choisi.

Après le Canada, place à la Belgique, quel poste occupez-vous désormais ?
Je suis responsable des juniors au centre national de Mons. J’ai remplacé Christophe Boulestro, un entraîneur français qui a fait un super travail avec les athlètes que j’ai récupéré, donnant un maximum de bases gymniques sur lesquelles j’ai pu m’appuyer à mon arrivée.

En Belgique, il y a deux centres nationaux. Le centre national côté flamand, situé à Gand, et le centre national francophone situé à Mons. Je suis responsable junior dans cette structure et aussi co-entraîneur national junior avec Sander Dalaere, nouveau responsable junior côté flamand… Depuis mon arrivée, j’ai pris le lead sur le programme de l’équipe nationale junior (gestion du calendrier, sélections, organisation des collectifs), un poste que j’ai toujours rêvé d’occuper un jour.

Comment s’est passée votre acclimatation, votre intégration ?
Ça change du Canada (Rires). Il y a moins de soleil et Mons est plus petit que Montréal. Mais c’est une très jolie ville. Au début, on a eu du mal à trouver un logement donc on a vécu en France les premiers mois. Maintenant on est bien installés. Ma femme n’entraîne plus pour le moment, faute de service de garde, mais elle travaille au centre de haut niveau, côté administratif, comme responsable des formations pour la fédération francophone. Elle reprendra l’entraînement quand notre fille sera un peu plus grande. Professionnellement, je me suis très bien acclimaté. Les besoins étaient là, et mon arrivée a rapidement dynamisé la structure. Les progrès ont été très rapides, avec plusieurs médailles décrochées déjà sur certains tournois auxquels nous avons participé, comme à Linz, avec l’argent en équipe, le bronze au concours général et trois médailles en finale par agrès. Les gens ne nous attendaient pas forcément, donc on a créé la surprise. Et puis désormais on prépare les FOJE et les Mondiaux junior. 

Quel est votre rythme de travail ?
J’entraîne de 8h à 10h30, puis de 16h30 à 19h30. En Belgique, on ne dispose pas des mêmes aménagements scolaires qu’en France, donc on s’adapte. 

Vous aimeriez revenir entraîner en France ?
Oui bien sûr pourquoi pas. Si un projet de très haut-niveau se présente, avec une perspective olympique, je serais partant. J’ai toujours cette volonté de contribuer au développement de la gymnastique française.

Après toutes ces années à l’étranger, quel regard portez-vous sur la gymnastique française ?
Durant toutes ces années à l’étranger à avoir côtoyé d’autres fédération, d’autres façons de faire, j’ai pu me rendre compte de la richesse gymnique que possède la France. Un nombre d’athlètes et de licenciés incroyables comparés à des pays comme le Canada ou la Belgique, mais aussi un programme de formation des entraineurs qui n’a rien à envier aux autres pays et qui permet de former un maximum d’entraîneurs très compétents. La France dispose d’un programme de haut-niveau et de suivi des athlètes au sein de différentes catégories (avenir, espoir, junior et senior) de qualité. La France a un vrai groupe de haut-niveau chez les juniors, mais la transition vers le senior reste un défi. Il faudra trouver la bonne dynamique avec le nouveau staff.
Avec Thierry Aymes à la tête de l’équipe, ils sont entre de bonnes mains. La France a tout pour être régulièrement dans le top 8 européen et mondial. Le tout sera de trouver la clé pour s’y installer durablement. 

Un dernier mot ?
Je tiens vraiment à remercier ma femme, Laure Pascal, qui me suit dans toutes ces aventures à travers le monde. Sans elle, rien ne serait possible.

Propos recueillis par Charlotte Laroche 


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