En 1984, le couple polonais pose ses valises à Rouen, d’abord pour un ou deux ans. Et finalement 40 ans plus tard, ils sont toujours en France. Une vie en Pologne et une vie en France, à vivre pour la gymnastique, par passion. Croisés sur les plateaux de compétition, ils n’ont jamais laissé indifférents. Aujourd’hui, ils vivent une troisième vie, celle de grands-parents, entre les calanques marseillaises et les Etats-Unis où résident leurs deux filles. Rencontre avec un couple iconique de la gymnastique française.

Lucie et André à droite de la photo, aux côtés des gymnastes du club d’Aix-en-Provence. Photo DR

Dès que l’on rentre dans l’appartement baigné par le soleil d’hiver de Marseille, chez Lucie et André on se rend compte de l’Histoire qu’ils ont écrite, qu’ils ont vécue. Le lien avec la Pologne, le lien avec leurs filles et leurs petits-enfants, les souvenirs liés à la gymnastique, celle qu’ils ont pratiquée, celle qu’ils ont enseignée. 40 ans en Pologne pour André, 30 pour Lucie, et 40 ans en France. Des photos, des cadeaux, des accréditations. On respire avec eux l’amour et l’amour de la gymnastique.

Lorsqu’on leur demande de nous raconter leur parcours, Lucie nous parle, de ses souvenirs, de ses gymnastes, de ses petits-enfants, André lui feuillette les albums photos, de temps en temps il apporte une photo, glisse une anecdote, souffle un souvenir. Parfois elle lui demande un nom, une année de naissance « il est trop fort pour cela, il a tout retenu ». André ne parle pas beaucoup, mais lorsqu’il parle, on l’écoute avec émotion et intérêt. Lucie, elle, on l’écoute avec émulation, passion. C’est une vraie page de l’histoire de la gymnastique française certes, mais aussi européenne qu’ils acceptent de nous livrer. Une page qu’ils ont partagée, ensemble presque depuis toujours, et qu’ils prennent le temps de nous raconter.

De Varsovie, et tout autour du Monde

Leur histoire commune débute en Pologne du côté de Varsovie. Ils se rencontrent à la fin des années 60. André est entraîneur au club Gwardia de Varsovie et à l’Université, Lucie Matraszek rejoint ce club, en provenance d’un autre club de la capitale polonaise Orzel (aigle en polonais). « Quand j’étais petite j’accompagnais mes sœurs dans le club de Gwardia. J’y avais sans doute déjà vu André qui était alors gymnaste mais je ne me souviens pas ».

Lucie a une quinzaine d’années et fait partie des gymnastes prometteuses de Pologne. Au club Orzel, il n’y a pas d’argent et c’est l’entraîneur, cadre dans une grande entreprise, qui finance ses compétitions, « mais il n’avait pas beaucoup de temps pour m’entraîner ».

Politiquement, la Pologne est dans le camp socialiste, mais relativement indépendante, la fin des années soixante connait une croissance économique temporaire. C’est, par exemple, un des premiers pays à légaliser l’avortement en 1956.

En 1970 Lucie est pressentie pour les championnats du Monde de Ljubjana, mais elle se fracture le poignet et y renonce. En 1971, elle fera ses premiers championnats d’Europe à Munich, Munich où elle reviendra l’année suivante avec l’équipe polonaise, pour les Jeux Olympiques. Ses premiers, elle a 18 ans.

A cette époque, les hommes n’ont pas le droit de suivre les gymnastes féminines sur les compétitions internationales. Cela amènera parfois des difficultés comme la fois où c’est à une de ses coéquipières de placer le tremplin au saut, tremplin qu’elle ne mettra pas à la bonne distance, « cela m’a probablement coûté une finale européenne au saut, peut-être même plus ». A l’époque l’entraîneur en chef est une ancienne gymnaste polonaise médaillée aux JO de Melbourne (1956) Helena Rakoczy… Elle entraînait à Cracovie « c’était la guerre entre les deux clubs ». André était dans les gradins, ce n’était pas une place facile.

Il y avait beaucoup de tournées et galas à travers le monde et notamment après les compétitions, de quoi forger des souvenirs et découvrir des cultures très différentes. Lucie se souvient d’un voyage exceptionnel au Brésil. « On n’avait pas le droit de toucher de l’argent alors on recevait des cadeaux, et parfois de très beaux cadeaux », dit-elle en montrant des petites cuillères, et en évoquant une pierre précieuse dont elle s’est servie pour faire monter en bague pour chacune de ses filles. Elle se souvient aussi de la tournée post olympique de Montréal à travers l’Amérique du Nord, en compagnie notamment de Nadia Comaneci, ou encore après les championnats du monde de Strasbourg en France.

Lucie à la poutre. Photo d’archives personnelles

« j’ai quand même battu Nadia, c’était une petite compétition, mais c’est arrivé ! »

André, lui se souvient d’une compétition entre les pays socialistes qui les avait amenés en Corée du Nord. Un pays aux frontières infranchissables ou presque qui lui a valu de nombreuses heures à jouer aux cartes dans l’hôtel, mais aussi une visite de la capitale sous escorte. Un voyage dont peu peuvent se targuer et qui reste ancré dans la mémoire de l’entraîneur polonais. A l’époque, les gymnastes des pays communistes participaient aussi à de nombreuses compétitions de moindre importance, pour montrer la puissance du système politique, c’est à l’occasion de l’une d’entre elle que « j’ai quand même battu Nadia, c’était une petite compétition, mais c’est arrivé ! », sourit Lucie.

En 1976, au retour des Jeux Olympiques de Montréal Lucie et André se marient. Et la carrière de Lucie se poursuit. Elle poursuit ses confidences : « aux Championnats d’Europe je me suis retrouvée dans le vestiaire avec Olga Korbut, on comprenait la même langue, mais elle n’a jamais parlé, elle n’avait pas le droit de parler aux polonaises », ce qui montre que malgré le joug soviétique la Pologne est précédée de sa réputation plus libre.

Néanmoins, dans les années 70, l’environnement économique et politique polonais continuent de se tendre. La condition des sportifs de haut-niveau permet cependant certains avantages comme un logement, des soins gratuits et un salaire. La reconnaissance de l’Etat ira jusqu’à l’impression de timbres à l’effigie de Lucie. Mais après sa troisième participation aux Jeux Olympiques à Moscou, elle décide de mettre un terme à sa carrière de gymnaste.

Lucie et André aux Jeux Olympiques de Moscou en 1980. Photo d’archives personnelles

La situation du pays continue de s’empirer, des pénuries, des grèves, notamment à Gdansk. Le syndicat Solidarnosk voit le jour sous l’impulsion de Lech Walesa en 1980, c’est la première fois qu’un pays sous domination soviétique autorise les syndicats. Mais, en 1981, la loi martiale est décrétée par le gouvernement de Wojciech Jaruzelski pour contrer la forte opposition et prétextant la gravité de la situation. Cette conjoncture annonce des grèves, le couvre-feu, les répressions et les pénuries de nourriture. Elle empêche également le couple polonais de rejoindre l’Allemagne où ils étaient attendus dans un club.

C’est dans ce contexte que naîtra Agata en 1982. L’état de siège perdure jusqu’en 1983. Il est très difficile de se nourrir. « Il n’y avait rien, dans les magasins, il n’y avait rien du tout. C’était dur », se souvient Lucie.

Dès 1981, Alain Vouriot, (cadre technique en Normandie) sollicite son collègue Stan Drabczyk (cadre technique en Île de France, polonais d’origine). Il est à la recherche d’entraîneurs pour pouvoir animer la nouvelle salle livrée à Rouen. Stan rencontre alors Lucie et André en 1984. Ils posent ainsi leurs valises dans la « ville aux Cent Clochers ». Stan se souvient. « Alain voulait un couple d’entraîneurs, il m’a demandé si j’avais des contacts en Pologne. Au bout de quelques mois j’ai rencontré Lucie et André. Ils avaient les compétences et l’ambition pour faire du haut-niveau. Ils étaient et sont toujours des gens très simples. Je ne les connaissais pas, mais quelques années plus tard en discutant avec André on s’est aperçu que l’on avait partagé des stages ensemble dans les années 60. J’étais encore gymnaste junior. C’est quand même incroyable le hasard. » Stan a quitté la Pologne très vite, en 1968, « par idéologie, et ambition personnelle. » 40 ans plus tard, le lien qui les unit persiste encore.

Quitter la Pologne pour manger

« Venir en France ce n’était pas forcément un plan », mais finalement le destin. « Nous avions eu des demandes pour l’Australie (où vit la sœur de Lucie, NDLR), pour la Sicile, et surtout pour l’Allemagne, mais nous n’avions pas donné suite », se souviennent-ils. Alors qu’est ce qui a fait qu’ils sont arrivés sur les bords de Seine ? « André ne voulait pas partir, mais il n’y avait aucun avenir pour nous en Pologne, même s’il était entraîneur national, sinon nous serions revenus. Une de mes amies tchèques travaillaient dans un laboratoire de l’INSEP, elle m’a informée que le club de Rouen cherchait un entraîneur polonais. Avec la complicité de la Police qui nous a rendu nos passeports, nous avons pu partir ».

En 1984, ils arrivent donc au club de l’Elan Gymnique Rouennais, présidé par Pascal Jourdan. Tous les trois avec Agata, sans parler le français. « Je savais dire trois mots que j’avais appris lors des tournées en France : Bonjour, Au revoir et merde », rit Lucie. Ils sont accueillis par une bénévole du club qui les héberge, les aide à apprendre la langue et s’installer administrativement en France. « Elle m’a beaucoup aidée avec Agata. Mais nous avions aussi besoin d’avoir un chez nous. C’est Alain Vouriot qui nous a, à son tour, aidé à ce moment-là, on peut dire qu’il nous a meublé. C’était dur car nous n’avions qu’un seul salaire. »

Si André est salarié du club, Lucie n’a pas de contrat et est bénévole au club. Ils s’engagent tous les deux intensément dans leur vie française. Très vite, ils amènent de très bons résultats, aussi une dynamique au sein de la région. « On faisait des regroupements en Normandie, j’ai mis en place des échauffements en musique, du fitness, des jeunes venaient de tout le territoire pour apprendre, c’était une belle émulation. » Parmi ces jeunes Lucie et André ont accueilli Paco Castilla (aujourd’hui au pôle espoir de Dijon, NDLR), avec qui ils ont travaillé par la suite ou encore Marc Chirilcenco et sa sœur. Lucie se souvient de Marc. « Il venait de Louviers. Son papa était président du club. Un jour on a fait un déplacement à Nîmes, il passait son temps à raconter des blagues. Louviers est un des premiers clubs à avoir fait venir une entraîneur roumaine, c’était Violetta Damian, quand elle est partie c’est Gina qui est arrivée »… La suite on la connait.

Avec le concours d’Evelyne Salaün (alors responsable nationale des juges), Lucie devient juge nationale, malgré les difficultés liées à la langue. « En Pologne je jugeais des compétitions mais je ne me souviens pas d’avoir passé un examen, je crois que c’était grâce à ma carrière. Mais en France il n’y a eu aucune équivalence. J’ai été obligée de tout passer. Comme cela a été le cas pour Ungureanu ou d’autres avant puis après moi. Mais Evelyne m’a beaucoup aidée. »

L’avènement à Rouen

L’année 1986 marque un triple tournant dans la vie de la famille. Leur seconde fille, Pauline nait.  Gymniquement, les premiers résultats nationaux ne se font pas attendre. L’équipe benjamine est vice-championne de France. C’est également en 1986 que Lucie obtiendra enfin un contrat de travail aux côtés d’André.

Au cours de leur parcours, Lucie et André ont toujours prôné la transmission aux autres, la transmission technique et des valeurs humaines. Lucie de son côté s’engage dans le jugement, juge, formatrice, responsable de juges au fil de son parcours.

« Il doit y avoir un modèle français, avec les valeurs du pays »

Le couple d’entraîneurs impose leur patte sur le long terme. Chaque année les équipes rouennaises se hissent sur les podiums nationaux, d’abord en critérium puis, aussi, en division nationale. Cela démontre la qualité du travail de base jusqu’au haut niveau. Cet engouement autour des Chydzinki est aussi indéniablement dû à leur philosophie de l’entraînement, leur passion pour la gymnastique et leur objectif d’éduquer leurs gymnastes comme leurs filles. Lucie insiste sur l’importance de s’adapter à la culture du pays « Chaque pays a ses caractéristiques pédagogiques : la Russie c’est par les bases, la Roumanie par la répétition, en Pologne on avait du caractère. Il ne faut pas vouloir reproduire un schéma spécifique. Il faut s’adapter, prendre le meilleur et l’insérer dans la culture du pays où l‘on travaille. Il doit y avoir un modèle français, avec les valeurs du pays. ».

Pauline, leur fille, confirme cette gratitude que les gymnastes ont pour eux, même des années plus tard :  « avec elles, ils ont toujours été super, ils essayaient de comprendre pourquoi une ne réussissait pas et trouvaient une solution différente pour qu’elle parvienne à l’objectif. Ils ont touché tellement de personnes, aujourd’hui beaucoup de leurs gymnastes sont encore en contact avec eux. Souvent certaines leur disent « je ne serais pas où je suis sans tout ce que vous m’avez inculqué ». Quand tu passes 20h dans la salle de gym, tes entraîneurs t’éduquent, t’élèvent, au sens premier du terme. » Car contrairement à l’aînée qui n’a jamais voulu faire de gymnastique, mais plutôt du tennis « on ne pouvait pas l’amener aux matches car nous étions toujours en compétition » regrette presque Lucie aujourd’hui, la cadette a attrapé le virus de la gym. « Ma mère m’a toujours dit qu’elle aurait préféré que je ne fasse pas de gym. Je ne la croyais pas, maintenant que j’ai une fille qui fait de la gym, je comprends ce qu’elle voulait dire, c’est si dur la gym. Mais je leur ai demandé de faire de l’équitation, c’était cher, et ils ne pouvaient pas m’amener les weekends, je leur ai demandé de faire du patinage artistique, mais ils étaient aussi en compétition le weekend, alors j’ai fait de la gym, comme ça j’étais avec eux », ironise Pauline.

Ainsi, elle fait partie des gymnastes qu’ils ont formées, pas toujours facile pour elle d’être à la fois la fille et la gymnaste. « Quand on sortait de la gym, à la maison, ils parlaient toujours de gym, de l’organisation de la semaine, du weekend à venir. Si l’entraînement s’était mal passé, les autres pouvaient décharger sur leurs parents, nous essayions tous de faire la part des choses, ce n’était pas toujours facile, mais attention je ne dis pas que c’était non plus le bagne. C’était différent mais nous avons été heureuses. »

« Si la discipline est la première chose pour réussir en gymnastique, il faut savoir créer une ambiance »

Après avoir eu trois gymnastes présélectionnées pour les JO de Barcelone, et une gymnaste championne du monde scolaire au saut (Carole Foulatier), les objectifs du club impliquent de placer des gymnastes dans les équipes de France. Dans cet objectif, le club étoffe son effectif d’entraîneurs avec, tout d’abord, Lidia Gorbik-Tkatchev puis, en 1995, le couple ukrainien en provenance de l’INSEP Alexander et Victoria Zarouba. Très vite, les tensions entre les deux couples deviennent palpables et le club normand devenu structure de haut-niveau sous la direction de Chantal Nallet, décide de se séparer, en juin 1996, dans la douleur, de Lucie et André.

André met alors à jour une philosophie de travail qui les précède encore aujourd’hui. « On me reproche d’être trop délicat. Mais j’ai appris qu’en France ce n’était pas la même mentalité que dans d’autres pays. Si la discipline est la première chose pour réussir en gymnastique, il faut savoir créer une ambiance »

Finalement, l’histoire en a voulu différemment et ils poursuivent leur collaboration dorénavant aux côtés de Paco Castilla. C’est à cette période qu’ils entraînent Julie Jarnault… Elle se souvient. « Pour moi André et Lucie étaient des entraîneurs de haut-niveau. Ils combinaient beaucoup de caractéristiques et se complétaient parfaitement. Lucie était entrainante, elle savait toujours trouver les mots. André lui était le sage, toujours très calme et patient. Il nous rendait beaucoup plus calme en compétition. Bien sûr c’était dur, il fallait une grande rigueur et pouvoir tenir le rythme, mais réussir en gymnastique ce n’est pas donné à tout le monde. Il faut transpirer. Donc si on adhérait au processus, on y arrivait. Sinon personne ne nous retenait. Moi je retiens leur très grande technicité, c’était quelque chose la gym à cette époque. Ils étaient toujours à notre écoute, et on formait une grande famille. Ce qui est particulièrement exemplaire c’est qu’ils ont toujours réussi à maintenir à la fois un pool de jeunes et des grandes, ce qui assurait un roulement continu dans les équipes, et les résultats. »

« Ils ont le cœur sur la main et qui partagent avec une grande humilité »

C’est à cette même période qu’Yvette Brasier (Responsable des Juges internationaux) propose à Lucie de devenir juge internationale pour la France, puisqu’elle a la double nationalité (NDLR pour prétendre passer l’examen international il faut posséder la nationalité du pays qui présente le juge). « Je lui dois beaucoup dans cette main tendue, Corinne aussi m’a épaulée quand il a fallu passer l’examen ».

Cette relation de confiance avec Corinne Callon (DTN FFGym 2013-2017) s’est créée avec le couple au fil des années. « Je les ai côtoyés lorsqu’ils étaient entraîneurs d’abord à Rouen, moi j’entraînais aussi. Ils ont beaucoup apporté en termes de connaissances et d’exigences de haut-niveau dans la pratique des clubs. Lorsque je me retrouvais en stage avec André, il était toujours prêt à répondre aux questions avec patience et pédagogie. Ce sont des gens qui sont sur la relation humaine, ils ont le cœur sur la main et qui partagent sans aucun égo et une grande humilité malgré un parcours et une expérience incroyables »

Des parcours qui se sont construits en parallèle, jusqu’à ce que Lucie intègre le pool des juges internationaux : une opportunité pour partager l’expérience et l’expertise de la triple olympienne auprès des gymnastes françaises. « Elle apportait sa connaissance, son regard de gymnaste et d’entraîneur, dans un collectif où les parcours sont très différents. Elle amenait une plus-value avec un regard très complémentaire et pertinent sur l’exigence de la gymnastique de haut-niveau », complète Corinne Callon. Mais Lucie craint l’examen. En effet, malgré une maîtrise de la langue de Molière, le français n’est pas sa langue maternelle et la formulation de l’examen est toujours très délicat. « Dès la préparation, notre relation de confiance a permis qu’elle me fasse part de ses craintes de répondre à côté pas par méconnaissance mais par la formulation. Je l’ai surtout rassurée sur l’examen, ». Aujourd’hui, Corinne témoigne de leur relation qui perdure dans le temps « ce sont de bons amis avec qui on aime se retrouver ».

Lucie sera placée aux côtés des collectifs France jusqu’en 2016. Ses collègues juges louent la gaieté, la bonne humeur, et le plaisir qu’elle apportait dans le cadre de ces missions. « Lucie apportait la bonne humeur dans le groupe de juge, et cela faisait beaucoup de bien » assure Corinne.

En 2009, Julie Jarnault devient à son tour juge internationale et découvre un nouveau visage de Lucie. « On se connaissait pourtant très bien, mais quand je suis arrivée dans le groupe j’y ai découvert une Lucie dans un autre cadre, bout-en train, toujours prête à sortir, à passer de bons moments, à nous détendre avec ses expressions très imagées. C’était une période très complice ». Dans ce groupe de travail, Lucie a toujours fait l’unanimité autour d’elle, et elle imposait, par sa simplicité et son expérience, un grand respect.

En 2000, Pauline quitte le cocon familial pour rejoindre le Pôle de Marseille. A partir de là ils veulent coute que coute rejoindre le Sud de la France. Aujourd’hui elle en rigole. « C’était dur de partir si jeune de chez soi, mais ils m’ont vite rejointe. Je leur ai dit je pars et finalement c’est vous qui revenez. Mais c’était mieux, ils n’étaient plus mes entraîneurs, ils me comprenaient quand je rentrais et que je leur parlais des difficultés que je rencontrais ».

Dès 2001, ils rejoignent le club de l’ASPTT Aix en Provence. Agata quitte la France en 2002, pour rejoindre les Etats-Unis poursuivant de brillantes études.

S’établir au soleil « coute que coute » et rebâtir

Lorsqu’ils arrivent en Provence, le club qu’ils rejoignent était un club régional qui n’avait jamais été en finale nationale. « Il a fallu beaucoup travailler, reprendre la base, la préparation physique des gymnastes, mais aussi travailler auprès des crèches, la baby gym, les scolaires, nous étions sur tous les fronts. On n’était pas prêt à faire tout cela, mais on n’avait pas le choix. On a remonté nos manches »,  se souvient Lucie.

Encore une fois très vite les résultats sont visibles, dès la fin de la saison, leur première équipe aixoise décroche le titre de Championne de France de DN3 « alors qu’on était qualifié en fin de classement et qu’on passait au premier tour ». L’ascension du club ne cesse de se confirmer jusqu’à la quatrième place de DN1 deux ans après. Des résultats dans toutes les catégories de jeunes, des gymnastes en Elite, on se souvient de Wendy Lejoyeux, en équipe de France espoir 2009, ou encore Clarisse Passeron qui devient championne de France en avenir en 2016, comme un clin d’œil avant que Lucie et André tirent définitivement leur révérence d’entraîneurs.

« Ils ont apporté tellement de choses dans ma vie »

En 15 ans, le club d’Aix en Provence s’est affranchi de l’ASPTT, est devenu un club qui compte, particulièrement structuré. Lucie et André adorent leur travail, n’ont pas peur de beaucoup donner, ils ont développé la gymnastique, mais aussi de la TeamGym, du Pilates, du fitness. A Aix en Provence, comme à Rouen, ils ont créé des liens intenses, faits de respect et de reconnaissance auprès de leurs gymnastes, et créer des amitiés intenses. Ils ont toujours poussé leurs gymnastes, et les jeunes qu’ils accompagnaient, dans des voies qui leur convenait, au-delà de la gymnastique. Evidemment, dans le gymnase, la rigueur était nécessaire, mais ce sont aussi les valeurs qu’ils inculquent qui construisent les liens indéfectibles. Des liens qui marquent la vie, comme le témoigne Sophie Dumalin non sans émotion : « Ils ont apporté tellement de choses dans ma vie. Ils m’ont entraînée de mes 6 ans en 2002, jusqu’à leur retraite en 2016. Bien sûr ils m’ont construite techniquement, dans la gym. Mais bien au-delà ils ont su m’inculquer des valeurs humaines qui me guident encore aujourd’hui : le goût de l’effort et du sacrifice à travers leurs entraînements, le fait d’être perfectionniste et de se donner à fond pour atteindre un objectif. Ils m’ont aussi appris à gérer la douleur et les frustrations. Je crois que je suis aussi devenue une meilleure personne à leurs côtés. Au début, j’étais une sauvage et je leur en ai fait baver, mais ils ont toujours su me pardonner. Leur vision de la gymnastique était très juste : il y avait cette discipline venue des pays de l’est, mais on rigolait aussi beaucoup. Je me suis nourrie de leur expérience. J’étais et je suis toujours admirative de leur parcours. Ce sont des personnes exemplaires, qui me guident encore aujourd’hui dans mes choix. »

A travers ce discours, Sophie traduit la relation empreinte de respect qu’elle éprouve pour ceux qui ont accompagné son parcours d’enfant à femme. Elle ajoute toute l’importance de l’engagement des entraîneurs dans la performance des gymnastes. « J’ai vite abandonné l’idée de faire du haut-niveau, mais ils m’ont toujours soutenue pour me hisser au plus haut de ce que je pouvais. Quand je suis championne de France en 2013, c’est l’aboutissement de beaucoup de choses. J’ai toujours pensé que lorsque je tombais, je les décevais plus que moi-même. Aujourd’hui encore quand j’ai un coup dur, je pense à eux et ça me rebooste. »

Ce plaisir d’aller à l’entraînement, de s’entraîner durement, dans une ambiance familiale est confirmée par Wendy Lejoyeux. Celle qui a rejoint le Pôle de Marseille durant 4 ans, et a signé sa première sélection en équipe de France espoir à Mortara en 2009. Une sélection où elle est accompagnée par Lucie et Julie, en tant que juges, un moment symbolique, comme une belle et grande famille.

André et Wendy. Photo d’archives personnelles

Cette intégration à Aix en Provence n’a pas été d’une évidence limpide au début « Quand j’ai fait les tests pour aller à Aix en Provence, Lucie et André m’impressionnaient, ils me faisaient même un peu peur, j’avais 6 ans. Mais ils m’ont fait tellement progresser, et ils ont réussi à me faire gérer mon stress en compétition. J’ai réussi à entrer à Marseille et faire tout ce que j’ai fait c’est en partie grâce à eux. Quand j’ai quitté le pôle, ils ont réussi à ce que la transition avec le retour en club se passe hyper bien, j’ai pris du plaisir à revenir m’entraîner au club. Ils savaient être à la fois rigoureux dans l’entrainement et hyper gentils, ce n’est pas donné à tout le monde. Un merci ne suffirait pas, ils m’ont appris tellement de choses. On grandit avec eux, et si je devais tout recommencer, ce serait avec eux, sans hésitation. Des entraineurs incroyables et humbles, l’humilité c’est aussi ce qu’ils nous ont inculquée. Et aujourd’hui, j’ai envie de leur dire de bien profiter de leur retraite, ils ont tant donné, elle est méritée. »

En 2016, c’est au tour de Lucie de prendre sa retraite, 10 ans après André. L’occasion de réunir les générations et les gymnastes qui ont tenu par dizaines à leur rendre un bel hommage. Julie se souvient « nous étions 14 anciennes gymnastes de Rouen à avoir voulu être présentes, depuis la Normandie. Il y avait plus de 10 ans d’écart entre nous, ça montre bien qu’ils ont touché plusieurs générations. Ils nous ont fait grandir. Et de voir qu’il y avait tant de gymnastes à leurs côtés c’est une preuve qu’ils ont été importants pour nous toutes. Durant 30 ans ils ont eu des gymnastes dont ils se sont occupés comme si c’étaient leurs propres enfants. C’est la moindre des choses que d’être là pour les remercier de tout cela. » Près de quarante gymnastes pour cette soirée inoubliable, à l’image d’une carrière exemplaire.

Grands-parents toujours passionnés

Cette retraite, ensemble, ils la méritent et ils en profitent. Pour Pauline, « ils ont été entraîneurs longtemps, trop longtemps mais s’il n’y avait eu leurs petits-enfants, ils seraient encore dans le gymnase. La gymnastique c’est leur vie, c’est leur passion. Et les petits-enfants c’est leur nouvelle passion. Ils font tout pour eux. »

A Marseille, ils aiment à se promener dans les calanques, ils aiment aussi retrouver leurs amis, mais ce qu’ils aiment par-dessus tout aujourd’hui, c’est partager le temps avec leur famille notamment leurs trois petits-enfants, Finn, né en 2015, Gabby en 2016 et Alexandra en 2020 sont leur bonheur, leurs soleils ; un appel, une photo, une visio avec eux, et tout s’éclaire, à commencer par leur visage.

Pauline et Agata se sont installées aux Etats-Unis. André et Lucie répartissent donc leur temps entre Las Vegas, Denver et Marseille, mais aussi l’Australie et la Pologne qu’ils voient évoluer. Pour André « Varsovie c’est devenu New York, regarde comme c’est beau ce qu’on a connu » dit-il en montrant du doigt les peintures des rues de la capitale polonaise qui ornent leur salon. Littéralement une vie de voyages se poursuit dorénavant autour de la famille.

Que ce soit aux Etats-Unis ou à Marseille, la gym n’est jamais très loin cependant, surtout pour Lucie. « Quand je suis à Marseille, je vais aider mon amie Mireille qui a un club aux Goudes. Au début André venait aussi, mais aujourd’hui, les jeunes n’ont plus la même rigueur et l’envie, alors il devient moins patient ». Parfois, Lucie se retrouve encore derrière une table de juge, « je crois que même si je ne suis plus tous les weekends au gymnase j’arriverai toujours à noter la gymnastique, je juge pour aider, l’exécution des circuits éducatifs, ou de fédéral. » Quand une grande dame de la gymnastique comme elle est à sa table de juge, il faut estimer la chance et se nourrir de tout ce qu’elle raconte, avec respect.

« Aujourd’hui encore, il peut m’arriver de montrer une roue, ça ne s’oublie pas »

A Marseille, soit, mais aux Etats-Unis aussi, la gymnastique n’est jamais loin. « Gabby a 9 ans (la fille de Pauline, NDLR). Elle fait de la gym, quand je suis là-bas, je vais à la salle ou aux compétitions, parfois je montre même une roue, ça ne s’oublie pas ! », confie Lucie. Quand ils sont aux Etats-Unis, Gabby profite de la passion sportive de ses grands-parents « Parfois elle me demande de lui apprendre à faire un flip, je lui dis non parce qu’elle a la chance d’avoir une pro qui a fait 3 fois les JO, et qu’ils ont appris à faire des flip toute leur vie. En plus, quand moi je dis quelque chose, ils me disent que ce n’est pas comme ça que l’on fait. C’est là qu’on voit que c’est un vrai métier d’être un bon entraîneur de gym. Ce n’est pas parce que j’ai fait de la gym que je sais apprendre les choses, et parer les enfants », rit Pauline, entre tendresse et résignation.

A travers les réseaux sociaux, à travers les relations qu’ils ont nouées au cours du temps, ils poursuivent leur passion pour la gymnastique. « Quand ma mère vient, elle n’en loupe pas une miette à la télévision. Moi la gym ça a fait partie de ma vie, mais maintenant c’est derrière moi. Les jeux Olympiques, le championnat universitaire américain, toute la gym, Elle, comme mon père, c’est leur vie, bon j’avoue je suis obligée de m’y remettre avec les quinze compétitions par an de ma fille », confie Pauline.

Lorsque le Pôle de Saint Etienne a voulu faire un stage aux Etats-Unis, en 2017, Monique et Eric Hagard ont sollicité l’appui de Lucie pour passer quelques jours à Las Vegas (SpotGym). Elle a eu à cœur de faire vivre cette opportunité. En 2021 et 2024, la famille s’est propulsée aux représentations de la tournée Post-olympique. « J’aurais tellement aimé pouvoir présenter Mélanie à Gabby qui a eu des étoiles dans les yeux, mais le timing était trop serré », regrette Lucie. Evidemment la passion de la gymnastique reste indissociable du quotidien, elle se transmet en héritage, une force pour la filiation, un vrai exemple de capital culturel comme l’a qualifié Pierre Bourdieu.

Ce quotidien aux Etats-Unis est aussi fait de grandes découvertes des paysages américains, des grands-parents qui profitent de leur vitalité pour partager les meilleurs moments de la vie avec les enfants et petits-enfants, un capital affectif inoubliable et inépuisable, à travers les paysages du pays de l’Oncle Sam.

Aujourd’hui, ils partagent leur temps entre les Etats-Unis et la Provence, entre leur famille et leurs amis, entre anglais, français et polonais : un melting pot culturel tellement riche.

En 2020, Lucie a obtenu sa carte verte, « je peux avoir la nationalité américaine ». Partir s’établir auprès de la chair de leur chair prochainement. « On y réfléchit, jusqu’à présent André n’était pas prêt à partir, mais… » un mais qui en dit long, peut être que leur troisième vie, se projette encore plus à l’Ouest, poursuivant leurs vies passionnantes et passionnées.

Lucie, André et leur deux filles, Pauline et Agata. Photo DR

En vidéo : Lucie Matraszek sur les agrès :

Recherches Lucjia Matraszek – Vidéo

1977 – Barres

1978 – Poutre

1978 – Sol

1979 – Saut

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