Actuellement à Jakarta pour disputer les championnats du monde de gymnastique artistique, Sihem Hamidi, 22 ans, est l’un des autres visages de la gymnastique algérienne. Étudiante en cinquième année de médecine, coéquipière de Kaylia Nemour, elle revient sur son parcours, ses défis et ses ambitions, entre passion et persévérance.

Sihem Hamidi aux Internationaux de France à l’Accor Arena de Paris en septembre dernier. Photo Maxime Curnillon / Spot Gym

Spot Gym : Peux tu revenir sur tes débuts en gymnastique ? Comment as-tu découvert ce sport ?
Sihem Hamidi : J’ai commencé la gymnastique à l’âge de 5 ans, à Tlemcen, ma ville natale. Ma grande sœur en faisait déjà et c’était aussi un sport que mon père adorait. Comme j’étais très souple, mes parents m’ont inscrite à la gym. Mes premières séances se sont déroulées dans un groupe de débutants, ce qu’on appelle ici la “masse”. J’ai tout de suite adoré l’ambiance. Très vite, j’ai été repérée par mon entraîneur de toujours, Abdelkader Brixi, qui m’a intégrée dans un groupe de sélection. Là, les choses sont devenues plus sérieuses. Je m’entraînais tous les jours (sauf le vendredi), environ 2h à 2h30 par séance, au sein du club JRBT où j’évolue encore aujourd’hui.

Quand tu étais plus jeune, comment s’organisaient tes journées entre les entraînements et l’école ?
Mes parents ont toujours tout fait pour que je puisse concilier école et sport. Comme le gymnase était loin de chez moi, ils m’ont inscrite dans une école juste à côté. Ma journée type était réglée comme une horloge : école le matin, pause à la crèche le midi, école l’après-midi, puis entraînement de 16h30 à 19h. En rentrant, je faisais mes devoirs. Ce rythme, je l’ai tenu durant toute ma scolarité, du primaire jusqu’au lycée, car en Algérie le système sport-études n’est pas encore développé. Pendant les vacances, nous faisions des stages avec deux entraînements par jour.

À partir de quand es-tu entrée dans un processus de haut-niveau ? Quelle a été ta première compétition internationale ?
J’ai commencé les compétitions nationales vers 6-7 ans, et j’ai gravi les échelons jusqu’à devenir championne d’Algérie dans toutes les catégories (benjamine, minime, cadette). En 2015, à 12 ans, j’ai porté pour la première fois le maillot de l’équipe nationale lors d’une compétition au Maroc, d’où je suis revenue avec une médaille d’argent et une de bronze. Par la suite, j’ai participé à plusieurs stages et compétitions internationales : en Égypte, en Tunisie, au Liban (Jeux scolaires), aux Championnats d’Afrique (bronze), aux Jeux Africains de la Jeunesse (2 or, 1 argent), et aux Jeux Méditerranéens en 2018.

Le passage en senior en 2019 a été difficile, mon corps changeait et mon niveau stagnait. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à participer au championnat de France, pour gagner de l’expérience. En 2020, je me préparais pour les Championnats d’Afrique mais la pandémie est arrivée. L’année suivante, j’ai dû mettre la gym un peu de côté pour préparer mon bac, car je voulais absolument réussir et intégrer la faculté de médecine. J’ai obtenu mon bac avec mention très bien, en arrivant première de mon lycée, et après cela j’ai repris la gym avec beaucoup de motivation et de maturité.

En 2022, j’ai participé à ma première Coupe du Monde au Qatar. C’était un rêve de me retrouver aux côtés de grandes championnes comme Oksana Chusovitina. J’ai même décroché une finale au saut, où j’ai terminé à la 7e place. Cette expérience m’a énormément motivée. La même année, j’ai vécu un moment unique en participant aux Jeux Méditerranéens à Oran, devant notre public. J’ai aussi disputé les Championnats d’Afrique où nous avons remporté le bronze par équipe, et où j’ai terminé 5e au saut.

En 2023, j’ai poursuivi mon parcours avec une Coupe du Monde au Caire, les Championnats d’Afrique en Afrique du Sud, puis les Jeux arabes où j’ai décroché une médaille d’argent et une de bronze. L’année 2024 a été très compliquée sur le plan sportif, car je n’ai participé à aucune compétition internationale suite au retrait de l’Algérie des championnats d’Afrique, mais nous avons continué à faire des stages avec l’équipe nationale afin de maintenir notre niveau et préparer les échéances à venir.

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Et en 2025, les compétitions internationales reprennent
2025 est une année très riche. J’ai pris part au Gymnix au Canada, où j’ai terminé 4e au saut de cheval, puis à la Coupe du Monde au Caire avec une nouvelle finale au saut, et enfin aux Internationaux de France en septembre. Et là, j’ai été sélectionnée pour participer à mes premiers championnats du monde.

Quelles sont les difficultés spécifiques que rencontrent les gymnastes en Algérie ?
En Algérie, la principale difficulté pour moi a toujours été le volume horaire. Il n’existe pas vraiment de pôles de haut niveau, ce qui fait que l’on évolue dans le même environnement d’entraînement, même quand les exigences augmentent en grandissant et en passant au niveau international.

Pendant toute ma carrière, je n’ai jamais eu accès à un kiné, à une préparation mentale, à un suivi nutritionnel ou même à des moyens de récupération adaptés. Tout cela, je l’ai découvert plus tard, en grandissant et surtout grâce à mes études de médecine, qui m’ont fait prendre conscience de l’importance de ces facteurs dans la performance et la longévité d’un sportif.

Penses-tu que la gymnastique est en train de gagner en visibilité dans ton pays ?
Oui, je pense que la gymnastique gagne en visibilité, surtout depuis la médaille historique de Kaylia Nemour. Beaucoup de personnes se sont intéressées à ce sport grâce à elle, et cela a mis la gymnastique algérienne sous les projecteurs. On sent un vrai engouement, les jeunes filles ont de nouveaux modèles et les familles s’ouvrent davantage à cette discipline.

Il reste encore du chemin à faire pour que la gym soit pleinement reconnue et soutenue, mais je crois que ce succès a marqué un tournant : il a montré que l’Algérie peut briller aussi dans ce sport

Tu es étudiante en médecine, comment arrives tu à concilier les études supérieures et la gymnastique de haut-niveau ?
L’université de médecine se trouve à seulement 100 mètres du gymnase, et c’est une chance incroyable. Mon rythme est assez intense : je m’entraîne le matin, je prends mes repas à la salle, puis j’assiste à mes cours à la faculté avant de reprendre l’entraînement à 17h.

C’est très épuisant, car en médecine, assister aux conférences ne suffit pas. Il faut au minimum 3 à 4 heures de révision par jour. À l’approche des examens, je suis obligée de réduire mes heures d’entraînement, ce qui est très frustrant car bien souvent les examens tombent en plein dans les périodes de compétition.

Ces moments sont très difficiles psychologiquement, parce que je ne veux ni échouer à mes examens, ni arriver non préparée en compétition. La pression est énorme, et il m’est arrivé plusieurs fois de penser à tout arrêter, par peur de sacrifier soit ma carrière sportive, soit mes études de médecine. Mais à chaque fois, l’amour que j’ai pour la gymnastique l’emporte, et le soutien de mon entourage m’aide à continuer et à trouver la force de concilier les deux

J’ai souvent dû jongler entre mes études de médecine et mes entraînements, sacrifiant parfois ma vie sociale et mes loisirs.

En quelle année de médecine es-tu ? 
Je suis actuellement en 5ᵉ année de médecine.

Quel métier, quelle spécialité, aimerais-tu exercer ? 
Plus tard, j’aimerais devenir médecin du sport, car je souhaite mettre mes connaissances médicales au service des athlètes. Ayant moi-même vécu toutes les contraintes et difficultés liées à la performance, je veux pouvoir accompagner les sportifs pour qu’ils aient un meilleur suivi médical, de la prévention aux soins, et ainsi contribuer à leur réussite et à leur bien-être.

Qu’est-ce que la gym t’apporte au quotidien ?
Tout au long de mon parcours, j’ai appris que la gymnastique n’est pas seulement un sport : c’est une école de vie, faite de sacrifices, de persévérance et de passion.

Je tiens aussi à remercier sincèrement la Fédération algérienne de gymnastique, et en particulier Madame Ayad Dahbi, sa présidente, qui croit en moi et me donne la possibilité de vivre de ma passion à travers des expériences incroyables. Son soutien me motive à continuer à me dépasser chaque jour pour représenter au mieux mon pays et porter haut les couleurs de l’Algérie.

Propos recueillis par Charlotte Laroche 

 

 

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