
Première année du nouveau cycle olympique, 2022 a été marquée par l’entrée d’un nouveau code de pointage sur le circuit international. Après de nombreuses critiques portées sur le précédent règlement, celui-ci promettait une limitation de difficultés techniques au profit de l’aspect artistique. Un an plus tard, quel bilan pouvons-nous tirer de cette première saison ? Camille Martel, juge international, revient pour Spot Gym sur l’année 2022.
C’est en 2003, à neuf ans que Camille découvre la GR. Six ans plus tard, elle passe son premier niveau de juge, puis devient juge national en 2015. Sélectionnée par la fédération française pour participer à la formation de juge international, elle obtient son diplôme de juge niveau 5 en 2022. Depuis, elle a eu l’occasion de juger les Championnats de France élite, mais aussi des tournois et des rencontres à l’international. Formatrice de juges et licenciée au club de Laval Bourny Gym, en Mayenne, Camile a suivi de très près la saison gymnique.
Spot Gym : Si vous deviez faire le bilan de cette année 2022 en GR, quel serait-il ?
Camille Martel : Comme à chaque début de cycle, 2022 a été une année test. On réfléchit à la façon d’élaborer au mieux les stratégies de composition. Il peut donc y avoir des erreurs et cela permet d’affiner le jugement pour l’année suivante. Mais cette fois, c’est particulier, car le cycle est plus court. On a donc une année test, mais un peu accélérée. Gymnastes, entraîneurs et juges ont dû s’adapter très rapidement. Une préparation inhabituelle mais finalement, j’ai l’impression que tout le monde s’est bien approprié le code. C’est un règlement plus artistique et plus intéressant à regarder, donc je pense que le bilan est plutôt positif sur ce point.
Avez-vous eu un enchaînement coup de coeur cette année ?
Eh non, malheureusement je n’en ai pas eu. Il y a eu beaucoup de beaux enchaînements, mais pas au point d’avoir eu un coup de coeur. Je pense que je n’ai pas non plus le coup de coeur pour ce code là (j’aimais beaucoup le code de 2013-2016).
J’ai d’ailleurs davantage aimé le travail sur les ensembles que sur les individuelles cette année.
Avez-vous eu une déception en 2022 ?
Oui, les Championnats du Monde de Sofia m’ont déçue. D’abord parce qu’on n’avait pas Boryana Kaleyn (Bulgarie) et Daria Atmanov (Israël) en lice. Ce sont deux grandes gymnastes qui s’étaient bien illustrées et qui étaient très attendues. On n’a pas eu la chance de les voir concourir, étant donné qu’elles étaient malade et blessée.
Et évidemment, comme tout le monde, j’ai été déçue qu’au niveau français on ait manqué de peu les finales du concours général et les finales par engin.
Quelle est la gymnaste technicienne de l’année pour vous ?
Même si ce n’est pas la gymnaste que je préfère, je dirais Kaleyn. Elle est très mature sur le praticable et elle tente des choses incroyables.
La gymnaste la plus artistique cette l’année ?
C’est difficile de n’en donner qu’une, comme l’artistique regroupe beaucoup de critères. Je dirais Stiliana Nikolova (Bulgarie) pour son énergie, elle est hyper pétillante et en artistique cela ressort toujours. Mais aussi Boryana Kaleyn et Lily Ramonatxo (France) pour leur personnalité et leur originalité.
Et globalement, j’apprécie le travail que les Italiennes proposent depuis plusieurs années : leur fluidité et leur recherche de la logique dans les enchaînements.
Une gymnaste aurait-elle proposé des éléments plus originaux que d’autres ?
Peut-être pas sur un enchaînement complet, dans le sens où on retrouve des éléments qui se ressemblent beaucoup dans les compositions de toutes les filles (elles font toutes les mêmes DA au sol en rouler par exemple et c’est un aspect du code qui me plaît moins d’ailleurs), mais je pourrais dire Giorgia Galli, l’Italienne, aux massues, elle a un enchaînement très intéressant avec des éléments chorégraphiques originaux et sympas. Elle commence sa composition avec une DA en équilibre et elle fait comme un escalier avec ses pieds. Boryana Kaleyn aussi ressort toujours des éléments originaux.
Une gymnaste ou un ensemble qui vous a touché ?
« Toucher » est un grand mot, mais on peut quand même parler de l’ensemble d’Italie aux rubans ballons qui a raconté une histoire autour des sports olympiques. Avoir cette idée et réussir à la transmettre, c’est impressionnant.
L’espoir de 2022 ?
Je n’ai pas réellement suivi les juniors, mais il y a une Polonaise Liliana Lewinska, qui a eu de beaux résultats aux Championnats d’Europe. La Bulgare Elvira Krasnobaeva sera aussi très bien en sénior, ainsi que quelques jeunes Italiennes.
Dans les séniors, il faut citer Daria Atamanov, l’Israélienne Championne d’Europe, qu’on n’attendait pas forcément, étant la plus jeune et ayant sûrement le moins d’expérience.
Y aurait-il une nation montante cette année et au contraire une nation descendante ?
Le changement de code a remis les compteurs à zéro. C’est-à-dire qu’il peut y avoir d’excellentes gymnastes, mais si leurs qualités ne correspondent pas à ce code, les résultas ne suivront pas forcément. Ainsi, un changement de code permet de faire naître des nouveaux espoirs et de développer des nouvelles gymnastes sur le circuit.
Je citerais forcément l’Allemagne en individuel, au vu des très bons résultats qu’ils ont obtenus. La Grèce tant en individuel qu’en ensemble performe bien sur ce code et remonte dans les classements. Enfin, le Brésil et le Mexique prennent des places, se classant dans quelques finales.
Ce n’est pas facile d’évaluer cela sur une seule année, mais j’ai l’impression que les Chinoises et les Japonaises ont un peu plus de mal sur ce code, avec des résultats légèrement en dessous (peut-être suite à quelques arrêts), impliquant donc de reconstruire une équipe solide. Les Azéris aussi ont eu une saison un peu plus mitigée. Ce n’est pas forcément un déclin, cela peut juste être une mauvaise année.
Et pour les Françaises, quel bilan tirer ?
Le bilan est mitigé, car il y a eu un bon début de saison, où les filles se sont bien illustrées sur quelques tournois avec des médailles. Les Championnats d’Europe aussi avaient montré un beau potentiel avec la qualification en finales. Beaucoup d’espoirs se sont créés, et peut-être aussi trop de pression, faisant qu’on est passé à côté des Championnats du Monde. C’est dommage de conclure l’année sur cela, mais il faut retenir qu’elles ont bien progressé et que l’objectif est davantage donné pour 2023-2024.
Y a-t-il une gymnaste qui est complètement passée à côté de sa saison ?
On pourrait dire l’ensemble d’Estonie, qui, jusqu’aux Championnats du Monde, n’a pas réussi à sortir un enchaînement sans chute, alors qu’habituellement elles proposent des choses assez intéressantes. Il y a sûrement aussi des déceptions chez les Bulgares avec Kaleyn qui ne fait pas les Championnats de monde et qui fait des Championnats d’Europe un peu mitigés avec des médailles d’or et des enchaînements ratés. De là à dire qu’elle est passée à côté de sa saison, non.

Une gymnaste qui aurait mis fin à sa carrière que vous regrettez ?
On regrette toujours quand la Championne olympique s’arrête, mais c’est vrai qu’une préparation olympique est éprouvante et je comprends que Linoy Ashram (Israël) n’ait pas re-signé. Il y a aussi eu l’Italienne Alice Taglietti qui avait annoncé son arrêt, mais j’ai été contente de voir sur les réseaux qu’elle avait repris l’entraînement.
Que pensez-vous de cette première année avec le nouveau code ? Quels changements notables ? Qu’est ce qu’on a perdu ? L’artistique a-t-il été plus mis en valeur ?
Il y a évidemment un meilleur ratio entre l’artistique et la difficulté. On est beaucoup moins sur un code de course aux points, avec des lancers à outrance, donc l’artistique a été un peu plus mis en valeur. À mon gout ce n’est pas suffisant, mais c’est déjà un premier pas. Tout cela dépend de la stratégie des entraîneurs et des gymnastes. Certaines vont accepter de recevoir certaines pénalités en artistique pour pouvoir mettre plus de difficultés. Ça se discute dans les deux sens. La Bulgarie avait d’ailleurs proposé de mettre l’artistique en valorisation et non pas en déduction, et ça aurait peut-être été intéressant de travailler comme cela.
En termes de spectacle, ce sont des enchaînements plus agréables à regarder que le code précédent, puisqu’ils sont plus fluides, davantage en musique et plus chorégraphiés. On n’a plus cette succession de difficultés, comme les dernières années.
Toutefois, il y a encore un meilleur équilibre à trouver entre l’artistique et la difficulté. Comme je disais tout à l’heure, je regrette qu’il y ait beaucoup de DA qui se ressemblent. Et même si les individuelles ont des musiques de styles différents, on retrouve souvent des DA identiques. En plus de cela, elles font toutes plus ou moins les mêmes difficultés corporelles. Donc on perd en variété dans les enchaînements individuels. D’autant plus qu’on ne peut plus valoriser la variété et l’originalité des compositions désormais dans l’artistique. Ainsi, si une gymnaste présente un élément très original, il ne sera pas forcément valorisé. C’est en cela que je pense que l’artistique pourrait être encore plus développé selon moi.
Mais cela se voit beaucoup moins sur les équipes. Le code se prête mieux aux ensembles, on a plus d’éléments variés et intéressants. Le travail artistique est plus riche qu’en individuel.
Voit-on une différence avec le plafonnement du nombre de DA et de collaborations ou ce nombre est-il encore trop élevé ?
Cela a un intérêt de limiter la difficulté d’engin car on était arrivé à un point où c’était vraiment trop. Néanmoins, il est vrai qu’elles n’ont pas forcément toutes les vingt DA, parce qu’elles ont toutes des qualités et des faiblesses et elles misent sur ce qui amène le plus points. Par exemple, une gymnaste qui tourne très bien va stratégiquement mettre un pivot sur cinq ou six tours plutôt qu’une DA. Comme le pivot prend du temps, cela réduit le nombre de DA. C’est un choix de composition. Je ne pense pas que ce soit trop élevé, mais cela ne correspond pas forcément à toutes les gymnastes.
L’effet n’a-t-il pas posé de problèmes, car c’est un critère du code quelque peu subjectif et il n’est pas toujours évident de dissocier un effet d’un simple rapport musique mouvement ?
À l’international, l’effet n’a pas trop posé de problèmes, parce que la FIG l’avait bien illustrée dans les diaporamas de formation. Mais j’ai trouvé que cela posait plus de problèmes en vie fédérale, parce qu’on a uniquement des exemples de gymnastes internationales. À transposer sur des plus petits niveaux, ce n’est pas toujours évident de voir ce que l’on peut faire ou non. On est plus tolérant en se disant que l’effet ne peut pas être aussi impressionnant qu’à l’international, mais jusqu’à quel niveau de tolérance on peut aller ? Au final, le jugement international est plus clair et personnellement, je me prends plus la tête avec le jugement sur les niveaux inférieurs.
Avez-vous rencontré des difficultés pour juger avec ce nouveau code ?
Non, je trouve que le code est plutôt clair, contrairement au précédent. Il fait d’ailleurs 250 pages, c’est qu’ils l’ont bien détaillé. Au début, cela faisait peur, mais on s’est vite rendu compte qu’il y avait beaucoup de schémas, de tableaux explicatifs et de questions réponses. Donc en lisant le code, je l’ai trouvé assez compréhensible et même si au début c’est forcément compliqué de juger avec, je pense aujourd’hui qu’il est beaucoup plus agréable et facile que le précédent. Et cela vient aussi des enchaînements qui sont plus agréables à regarder et plus musicaux.
L’absence des Russes a-t-elle impacté l’intérêt ou le niveau des compétitions ?
Oui et non. Les Russes et Biélorusses font partie des meilleures, elles sont donc un moteur et une inspiration pour tous les autres pays et cela aide à tirer le niveau général vers le haut, mais en même temps grâce à tous les médias, on sait ce qu’elles font. On peut donc voir le niveau qu’elles ont gardé, bien qu’elles ne fassent plus de compétitions, et on peut analyser leurs stratégies de composition et leur contenu.
Je ne pense pas qu’il y ait une baisse de niveau ou d’intérêt pour autant. Du fait qu’il y ait l’olympiade qui arrive bien plus vite que d’habitude, les gymnastes et les entraîneurs ont dû travailler plus rapidement sur la préparation des JO. On a donc eu un très bon niveau général pour un début de cycle, même si les Russes n’étaient pas là.
Cela a permis aussi de voir des podiums un peu plus diversifiés que d’habitude. C’était intéressant pour les fédérations autant que pour les spectateurs de voir un peu plus de compétition et de surprises.
Quoi de nouveau pour 2023 ?
En 2023, on va retrouver des Championnats du Monde junior, ça c’est cool, surtout que moi je n’avais pas trop suivi la catégorie.
Propos recueillis par Elisa Cohen





