Sébastien Defrance et Anne-Sophie Woreth, une signature à deux

Sébastien Defrance, c’est le garçon qui représente la gymnastique rythmique parisienne. Médaillé en individuel en National B sénior en 2016 et quatrième les deux années suivantes en National A, il a marqué sa génération gymnique par un style bien à lui. Cette marque de fabrique, il la doit en grande partie à son entraîneur Anne-Sophie Woreth, chorégraphe à la forte sensibilité artistique. Portrait du binôme indissociable du club de GRS Glacière XIII. 

Sébastien de France
@Cybile C. Photography

Bien qu’il soit d’abord passé par la gymnastique artistique, il aurait été étonnant que Sébastien Defrance ne pratique pas un sport chorégraphique ; son père étant professeur de danse classique et sa soeur ainée, Cécile, gymnaste rythmique à GRS Glacière XIII. Celle-ci avait fait découvrir à son frère la GR en jouant l’entraîneur dans le jardin, lui apprenant les bases de la discipline. Son père n’a pas eu le même succès avec son fils pour la danse, dont les cours ennuyaient profondément le garçon. Il a tout de même réussi à le faire participer à des spectacles de fin d’année et à réaliser quelques mouvements de gym. « Je pense que cela a aidé que mon père soit dans le milieu de la danse. Automatiquement, mes parents n’étaient pas fermés à l’idée que je fasse de la GR », pense Sébastien qui reconnait la chance d’avoir eu ses parents présents à chaque compétition : « Sur la centaine de compétitions que j’ai faites, ils ont dû faire quatre-vingt-dix d’entre elles. Et à la fin quand ils ne venaient plus parce que j’avais le permis, ils continuaient à me demander les vidéos ». 

Cécile, la soeur de Sébastien était entraînée par Anne Sophie Woreth qui, lorsque Sébastien se présente à elle, l’accepte sans hésitation, ayant été elle-même entraînée par un homme lorsqu’elle était gymnaste en banlieue dijonnaise. Sébastien entre dans le club qu’Anne-Sophie venait de créer, Paris Rythmique. Cinq ans se passent dans cette association avant qu’Anne-Sophie décide de retourner à Glacière XIII. Cinq ans durant lesquels Sébastien participe à ses premières compétitions, un élément qui décide le club à accepter le garçon en GR. Dès lors prend forme un duo qui ne se quittera plus : « Je n’ai jamais été entraîné par quelqu’un d’autre. En fait, je pense qu’une fois qu’on a appris avec un entraîneur, c’est difficile de changer sa manière de travail et puis, il y a un peu la question de fidélité vis-à-vis d’elle qui se pose. Si j’avais dû déménager pour mes études, je ne pense pas que j’aurais continué la GR avec un autre entraîneur », avoue le gymnaste. Cette relation très proche, ils la considèrent chacun comme une filiation : « C’est mon fils de GR. Aujourd’hui, je peux me confier sur les problèmes que je rencontre à l’entraînement. On a créé une famille, j’ai été beaucoup plus dure avec lui qu’avec mon fils d’ailleurs, mais j’ai été dure pour qu’il progresse » déclare l’entraîneur de Sébastien, qui ne voit que du bon en son gymnaste : « En tant que personne, il a vraiment toutes les qualités ; il est à l’écoute, il n’a aucune méchanceté, toujours poli et dans la douceur. En comparaison avec tous les gymnastes que j’ai eu, il n’a pas de défauts. Et puis, il est très réservé ; il déteste être exposé et mis en avant, c’est moi qui le pousse à contrecarrer certaines pensées ». De son côté, Sébastien décrit leur lien ainsi : « Elle le sait, je la considère comme ma seconde maman. Elle m’a vu grandir, je suis plus vieux que son fils. Elle a été présente depuis mes huit ans et même après la GR je pense qu’on sera longtemps proches ». Cette proximité explique probablement la réussite des deux passionnés. 

Sébastien Defrance petit

Sébastien Defrance commence d’abord en « Coupe jeunesse » en UFOLEP, fédération dont l’adhésion est bien moins chère qu’en FFGym. Il devient rapidement Champion de France en National 11 ans, donc se lance en FFGym, d’abord en catégorie Dir, puis monte doucement les échelons : « Sébastien était très cambré, les jambes pas très tendues, les pieds pas très tirés et une souplesse de jambes en chapeau, mais il avait une jolie souplesse de dos et une technique incroyable », raconte Anne-Sophie. La rigueur de son entraîneur permet de mener le garçon au plus haut. En 2016, c’est « la consécration de tout ce travail », Sébastien arrive sur la troisième marche du podium Nat B Sénior, lui offrant une place en National A pour les saisons suivantes : « J’ai ce souvenir où à la fin de mon premier passage au cerceau, j’étais vraiment content de retrouver Anne-So pour lui faire un câlin ».

Puis viennent deux années consécutives de performances inespérées. Sébastien termine quatrième des Championnats de France National A en 2017 et 2018 : « Honnêtement, je ne me sentais pas à ma place en Nat A. C’était mon objectif, mais une fois que j’y étais, c’était pour le fun. En plus, j’étais le truand de la catégorie, toujours en fin de classement en Ile-de-France et deux quatrièmes places en finale ». Ce que le jeune homme entend faire comprendre c’est que contrairement à d’autres gymnastes de la catégorie, lui ne s’entraîne que très peu (environ quatre heures par semaine) et tente de ce fait moins de difficultés corporelles : « À l’échauffement en compétition, je les vois toutes avec une grande souplesse, tandis que moi j’arrive avec mon petit biche », plaisante-t-il. Mais il a su jouer sur d’autres critères notamment la technicité à l’engin qui est chez lui inée, comme l’explique Anne-Sophie Woreth : « Techniquement, il est très fort, vraiment supérieur à moi. En plus de ça, il a une oreille musicale impressionnante, d’une finesse extrême. Il a aussi une analyse du geste, que je pense beaucoup d’entraîneurs n’ont pas. Il est capable de se corriger en voyant un mouvement bien fait ». Elle ajoute : « Il est tellement facile Sébastien. On partage nos idées, en trois séances son enchaînement est monté. C’est hyper agréable de travailler avec lui ».

Sébastien Defrance

Mais c’est surtout la recherche artistique dans ses compositions qui permet à Sébastien de se démarquer. Anne-Sophie Woreth a toujours eu une fibre créative en elle. Sa cousine, qui l’a amenée à ce sport faisait de la GR, ainsi que ses deux soeurs, sa tante était présidente du club, tandis que sa mère était juge responsable régionale en Bourgogne. Elle a toujours créé des enchaînements qui scotchaient les spectateurs : « Je me souviens, quand j’ai passé mon diplôme, il fallait créer un enchaînement. J’avais mes copines qui préparaient cela à fond les ballons, moi en deux fois c’était bouclé ». C’est sans surprise qu’elle révèle avoir été formée pour son Brevet d’état à Strasbourg, club à la forte empreinte artistique. Elle a aussi réalisé un stage avec Karine Lemaître, une révélation : « Les compos qu’elle faisait étaient impressionnantes. Elle était à Courbevoie et aimait beaucoup Michael Jackson. J’ai tellement adoré ce stage, je pense que c’est elle qui m’a donné la niaque de l’artistique », affirme-t-elle.

Anne-Sophie a continué à developper cette faculté en UFOLEP, une fédération qui met plus l’accent sur cet aspect : « C’est peut-être ce qui me manque aujourd’hui, car en FFG, c’est beaucoup de technique. Parfois, on se limite à certaines choses, tout cela pour obtenir 0,40 de plus. La GR actuelle ne me plait pas, je ne reconnais plus la GR que j’ai connue », regrette-t-elle. Pour autant l’entraîneur avoue : « C’est la chose que je ne pourrai jamais abandonner. C’est lourd parce que ça me fait 45 heures par semaine sans compter les compétitions, mais je ne peux pas m’en passer, ça me tient. Beaucoup d’entraîneurs sont partis quelques temps, mais on y revient toujours avec parfois plus de recul. Je n’arrêterai jamais ». La caractéristique artistique qu’a Anne-Sophie est félicitée par toutes les personnes qui l’ont croisée  : « J’aimerais être capable de monter des enchaînements aussi beaux que les siens, c’est ce que je n’ai pas et qui a comblé mon manque d’expression de base », confie Sébastien. Pour son élève, Anne-Sophie a toujours voulu proposer une GR différente de celles des filles : un choix de musiques précis avec des voix masculines ou encore une recherche corporelle différente : « Le style lent, féminin, ça ne me va pas tant que ça, donc on a joué sur la différence que j’ai avec les gymnastes féminines. Cette opposition, je ne voulais pas la cacher », déclare Sébastien. Anne-Sophie renchérit : « Je lui ai toujours dit ‘tu es un garçon, tu vas faire de la GR de garçon’. Mais il sait rester élégant et classe ».

Sébastien Defrance

« Anne-Sophie m’a toujours accompagné et soutenu. En National, j’étais le seul qualifié et elle faisait toujours les déplacements avec moi. J’ai gagné en discipline et en rigueur. En un mot, elle m’a donné la passion de la discipline », révèle Sébastien. Anne-Sophie Woreth s’est battue au début de la carrière de Sébastien, car les garçons n’étaient pas aussi bien perçus qu’aujourd’hui. Elle a reçu de nombreuses remarques sur les justaucorps du jeune garçon à son arrivée en FFGym. Les académiques pour les garçons ne se faisaient pas à l’époque, c’était donc artisanalement qu’ils avaient décoré la tenue de Sébastien d’une cravate. Un signe distinctif trop voyant qui a failli leur valoir une pénalité. Cette anecdote est une révélation pour le gymnaste à qui on a toujours caché les petits désagréments le concernant. Mais à part ça, Anne-Sophie pense qu’il n’y a pas eu de discrimination : « Je pense que les gens n’avaient pas l’habitude de voir un garçon, mais justement il a pu bénéficier de discrimination positive. Est-ce que les filles en foot auraient pu participer avec des garçons ? Non, moi je suis pour », clame-t-elle. 

Sébastien, lui non plus ne voit pas le fait d’être un garçon comme un désavantage face à ses adversaires féminines : « Moi, je considère avoir été favorisé en tant que garçon. Automatiquement, j’attirais plus l’attention, j’avais le soutien du public qui ne me connaissait pas, venant d’un club qui envoyait peu voire pas de gymnastes aux France. Je faisais partie des gymnastes les plus encouragés. Tout de suite on se disait ‘ah tiens, c’est le garçon’. Et même des entraîneurs venaient nous conseiller. Donc j’ai eu davantage de soutien que la plupart des filles ». Il a d’ailleurs bien vécu le fait d’être l’un des seuls garçons d’une discipline quasi exclusivement féminine. Néanmoins, Sébastien ne cache pas apprécier voir des garçons sur les praticables et aimerait que la discipline se développe en ce sens, sans pour autant militer pour : « Je n’aime pas le mot ‘combat’, il faut laisser les choses se faire. Pourquoi pas le jour où le nombre de licenciés garçons atteindra celui des filles, créer une catégorie de garçons, mais je ne pense pas que cela arrivera, car c’est un milieu artistique. Mais je suis pour qu’il y ait plus de garçons qui proposent justement une nouvelle GR comme celle que j’ai fait ». Il trouve même intéressant de concourir contre les filles car chacun propose des choses différentes. Une vision partagée par son entraîneur pour qui il semble compliqué de créer une catégorie spécifique aux garçons, mais qui rêve cependant à un duo filles-garçons aux Jeux Olympiques.   

N’étant selon lui pas le plus rigoureux à l’entraînement en individuel et préférant s’amuser à tester de nouvelles manipulations, c’est le duo et l’ensemble qui lui ont apporté la volonté de travail. Avec sa partenaire de GR Charlotte, il passe les meilleurs moments d’échange en duo : « ils avaient le même âge, donc je les ai mis ensemble et c’est devenu le duo parfait, les amis parfaits et ils ont progressé ensemble », explique Anne-Sophie insistant « et en ensemble, c’était mon pilier. Je n’ai jamais fait des entraînements particuliers pour lui, déjà parce que je ne suis pas entraîneur à plein temps [elle est cadre dans une société d’investissement, ndlr] mais surtout pour qu’il soit intégré et crée un motivation chez les filles ». Unique chez les gymnastes rythmiques masculins, Sébastien aura goûté à tout : l’individuel, le duo, l’ensemble et même la DFE, qui fut l’exercice qui lui a plu le moins, considérant la GR comme par essence une prestation avec un engin.

Anne Sophie Woreth et Sébastien Defrance
Anne Sophie Woreth et Sébastien Defrance

Devenu chargé d’études économiques du Ministère de la transition écologique au service statistiques des transports, Sébastien prend la décision la saison dernière, d’arrêter la GR, notamment pour pouvoir profiter d’une vie plus classique : « Je suis arrivé à un stade où je suis quand même assez vieux, je suis entré dans la vie active, mais c’est surtout pour une question de vie sociale. J’ai besoin de retrouver ma vie, sans les obligations que créent les entraînements et les compétitions. Avec le Covid, je me suis éloigné de la GR et je me suis rendu compte de la contrainte que ça pouvait être ». Mais restant toujours proche du sport, Sébastien continue de subir ces petites contraintes, jugeant aux compétitions, formant de jeunes juges et parfois venant aider Anne-Sophie à l’entraînement.

Finalement, c’est la création d’enchaînements qui lui manque réellement, bien plus que la compétition et l’entraînement régulier. Si cet arrêt Sébastien ne l’a pas mal vécu, Anne Sophie a ressenti un petit vide sans lui à l’entraînement : « J’espère qu’il va revenir. Ce serait le retour du manque, le manque de l’un l’autre. Il est allé à la salle cette année, ça ne lui plait pas. Mais sa dernière année de GR a été de la souffrance physique, trop peu d’entraînements pour la catégorie. Et à l’entraînement quand il vient, il vient aussi pour les autres, il m’aide beaucoup, il est même dans la protection avec moi ». Elle conclut avec sincérité : « Sa réussite m’a apporté la reconnaissance du travail que j’ai fait sur lui. C’est important, parce que c’est le seul gymnaste à m’avoir portée aussi haut. Si des gens connaissent mon travail, c’est grâce à lui ». 

Le club de Glacière, peut-être en partie grâce à Sébastien Defrance est l’un, si ce n’est le club, qui a compté le plus d’adhérents masculins en GR en même temps. Ce qui est sûr, c’est que sa pratique et ses exercices signatures ont fait naître l’envie chez quelques garçons de s’essayer à un sport jugé féminin.  

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