Quentin Signori, de la gymnastique aux sangles aériennes

Quentin Signori en répétition à l'Ecole nationale des arts du cirque de Rosny-sous-Bois. Photo Elisa Cohen / Spot Gym

Ancien gymnaste de haut-niveau membre du collectif France senior, Quentin Signori, désormais reconverti dans le monde du spectacle, fait partie des 24 artistes retenus pour participer au Festival mondial du Cirque de demain qui se tiendra au Cirque Phénix de Paris du 26 au 29 janvier. Portrait d’un artiste authentique à la fabuleuse reconversion.

Léger comme une plume, Quentin Signori s’envole dans les airs accrochés à une sangle aérienne. Avec élégance et finesse. Les gestes sont justes. Sensibles. L’émotion est puissante. Tout paraît simple tellement la technique lui paraît facile. Fluide. Limpide. Et pourtant… Derrière se cachent des heures de travail, de création, de préparation et de répétition.  Derrière se cache un artiste qui ne voit que d’un œil et qui a toujours tout fait pour dompter sa différence. Derrière se cache un homme libre.

Né en 1989, Quentin Signori a toujours baigné dans le sport. Avant de s’épanouir dans le monde du cirque contemporain, domaine dans lequel il excelle aujourd’hui, le natif de Montreuil a pratiqué la gymnastique artistique à haut-niveau. C’est en baby gym, au club de la VGA Saint-Maur qu’il fait ses premiers pas en gymnastique. À son entrée en Primaire, il migre vers la Bretagne et rejoint le club de l’Aurore Vitré. “Une super période“, se souvient-il. “Ils m’ont beaucoup encouragé et ont cru en moi.” À son entrée en CM2, il remonte en région parisienne et évolue en sports-études au pôle d’Île-de-France avant d’intégrer le pôle d’Antibes en 2004 puis l’INSEP en 2011. Il y restera jusqu’à la fin de sa carrière, qu’il annonce en 2015, à un an des Jeux Olympiques de Rio. Tout au long de ses années, il y découvre alors la magie des sélections France. Championnats du monde universitaires, Jeux méditerranéens, il parvient à gagner sa place en équipe de France malgré la cécité de son oeil droit. Une particularité qui fait partie de son histoire mais qui ne l’a jamais freiné ni empêché de croire en ses rêves.

Je suis né avec un glaucome congénital et je ne vois que d’un oeil” , confie-t-il. Au début, ce n’était pas une cécité complète, j’avais ‘simplement’ le champ visuel obscurci au niveau de mon oeil droit. Je ne voyais pas au centre et je voyais un petit peu sur le côté. Mais à partir de mes 12 ans, la situation s’est dégradée et j’ai perdu totalement la vue au niveau de mon oeil droit. C’est quelque chose que les gens ne savent pas. Je n’en parlais pas en fait. Mes entraîneurs étaient au courant bien sûr, mais sinon très peu de monde était au courant.” Malgré son champ de vision limité et la gêne que cela pouvait entraîner, il parvient tout de même à performer. “À la gym, ça m’a gêné mais je l’ai fait. Avec du recul, je me dis que j’étais quand même un grand malade (Rires). Balancer des kovacs vrille à la fixe avec un oeil, c’est un peu fou ! Au sol, mon champ visuel était limité, je n’ai pas la 3D donc je vois tout à plat ! Mais ça ne m’a jamais arrêté. J’avais un très bon suivi médical, mes entraîneurs étaient au courant et ça a toujours fonctionné comme ça.”  Et comble de l’histoire, au final, ce ne sera pas son oeil qui perturbera sa carrière mais les blessures à répétition. “J‘étais pas mal blessé ce qui a fait que j’ai loupé pas mal d’échéances et que j’ai été souvent remplaçant. C’est comme ça” , lance-t-il.

En club, il connaît des heures de gloire avec Clamart, club qu’il a rejoint en 2005 et à qu’il doit beaucoup. “J’ai fait 10 ans à Clamart et c’était des supers années“, sourit-il. “On est parti de très bas et on a fini champion de France de Top 12 ! Des moments magiques qu’on a vécus en équipe, et propulsé par notre président Guy Varlet, qui a été comme un deuxième père pour moi. Et puis, honnêtement je dois beaucoup à Clamart. Soutien moral, financier et ils étaient tout le temps là. Même dans les moments de grand doute. Car quand tu es dans le collectif France et que tu n’arrives pas à percer, que tu es souvent blessé, tu finis par perdre toute notion de sens. Tu ne sais plus pourquoi tu fais ce que tu fais, ça te paraît de plus en plus compliqué  à atteindre tes objectifs et eux ils ont su donner du sens à ce que je faisais et pour ça, je leur en serai toujours extrêmement reconnaissant.”

En 2015, après quinze ans dans la gymnastique de haut-niveau, il quitte l’INSEP et met un terme à sa carrière internationale. Il continue toutefois de matcher deux ans avec son club de Clamart, “pour aider les copains de la deuxième DN” avant de raccrocher complètement. En parallèle, il travaille dans une société spécialisée dans la vente d’articles de soin de sport. “Je m’occupais de la communication, j’ai créé le site internet et je m’occupais de leur budget média.” Un travail qui lui permettait de gagner sa vie mais qui manquait de magie. Lui, fils d’artiste peintre plasticien, qui a toujours eu une appétence pour l’art de manière générale. Alors en 2019, lorsqu’il assiste à un spectacle du Cirque Plume, le déclic arrive. L’évidence le frappe de plein fouet. “Le spectacle m’a retourné la tête” , lance-t-il. “J’étais à une période de ma vie où je n’en pouvais plus de bosser devant mon ordinateur et ce jour-là, je me suis dit ‘allez j’arrête mes conneries, j’ai assez perdu de temps, je démissionne et je me lance dans le monde du spectacle.”

Il fait ses premières armes à Disney où il évolue en tant qu’artiste sur un spectacle. Il y découvre alors les sangles aériennes. Un agrès qui lui parle. Qu’il s’approprie. Immédiatement. “Je m’y sentais bien, ça me rappelait les anneaux en gym, à la différence que ça tourne (Rires). On m’a tout de suite dit que j’avais des qualités, et j’ai foncé là-dedans” , commence-t-il avant de poursuivre. “Les sangles aériennes, c’est un mélange de force et d’élan. Quand j’étais gymnaste, j’étais assez fort en élan donc j’ai eu le feeling direct même s’il a quand même fallu habituer les épaules à aller dans des directions dans lesquelles elles n’avaient pas l’habitude d’aller, comme les bras derrière ou tenir des planches avec les bras dans le dos. Mais notre corps de gymnaste s’habitue très vite, on lui a tellement donné de direction qu’on apprend facilement.

Après son contrat à Disney, il part se former au Canada pendant deux mois auprès d’un entraîneur “ultra-spécialisé” dans les sangles aériennes. Une expérience qui lui permet d’affiner sa technique. À son retour en France, la pandémie du Covid-19 commence. Il s’entraîne alors “dans son coin“. Sérieusement. Avec passion. À la fin de l’année 2020, il s’entoure de Laurence Auerswald, une amie chorégraphe qui évolue dans le monde de la gymnastique rythmique. Ensemble, ils créent un numéro de 6 minutes. Celui qui lui ouvrira les portes du prestigieux Festival contemporain du Cirque de Demain auquel il va participer en cette fin janvier 2023 après deux annulations. “Quand j’ai contactée Laurence, je lui ai dit que je voulais faire telle sorte de numéro, que je voulais le faire sur telle musique, mais que je ne savais pas exactement comment m’y prendre” , éclaire-t-il. “Ensemble, on a réussi à créer un numéro qui me correspond. Elle m’a donné des pistes, des directions, les intentions. Un travail minutieux, à quatre mains.”

Dans ce numéro très personnel, rien n’est laissé au hasard. Chaque geste, chaque posture, chaque mouvement a un sens. “Je voulais donner du sens à mes gestes, réaliser des combinaisons inconnues, des séries originales, tout en jouant avec l’espace” , explique celui qui s’entraîne 4 à 5 heures par jour à l’école de cirque de Fontenay-sous-Bois, dans un hangar à Montreuil ou à l’École nationale des Arts du Cirque de Rosny-sous-Bois.

Des heures d’entraînement qui lui ont ouvert les portes du Festival mondial du Cirque de demain mais qui lui permettent aussi de se faire repérer par les plus grandes compagnies et de travailler sur des projets fabuleux. À l’image de ce contrat qui l’a mené jusqu’en Suisse, pour travailler sur le conte écologique de Mélanie Laurent adapté en opéra, où il a joué un oiseau, accroché à ses sangles aériennes qui lui ont donné une nouvelle existence. “Je me suis retrouvé à Genève, sur un parterre d’eau immense, dans des supers conditions. C’était quelque chose de sublime. Un moment magique” , révèle-t-il. En parallèle, il évolue également chaque été dans une compagnie de cirque contemporain de rue. “En tant qu’intermittent du spectacle, je ne sais jamais sur quel projet je vais travailler mais ça me plaît. Même si parfois, l’incertitude nous guette, ça entraîne souvent de très belles surprises.”

Quant à sa différence, il en fait une force. “J’ai une différence de faciès assez importante, je ne vois que d’un oeil et c’est tout cela que je raconte dans mon numéro. Ma différence. Lorsqu’ils ont regardé ma vidéo, le comité de sélection du festival a réussi à cerner le message que je cherchais à véhiculer et ça leur a plu” , livre-t-il avec une pointe de fierté dans la voix. Un parcours atypique et un vécu inhabituel dans lesquels il puise son inspiration et qui fait de lui un artiste à part. Authentique. En phase avec lui-même. Un artiste dont l’émotion transperce le spectateur en plein cœur. Il danse, pivote, virevolte, se balance. Joue avec ses bras, ses jambes, ses mains, ses pieds, ses épaules, sa sangle, le sol, l’apesanteur. Il fait parler son corps tout entier, nourri par ses émotions intérieures. Jeudi 26 janvier, lors de l’ouverture du festival mondial du Cirque de demain, c’est le jury qu’il essaiera de convaincre, le tout devant des milliers de spectateurs. Mais pour l’heure, il peaufine sa préparation. Règle les derniers petits détails avec l’adrénaline qui commence à monter. Cette adrénaline qu’il a tant connue durant ses années gym et qu’il affectionne tant.

 

Article précédentVitaly Marinitch dans la tourmente
Article suivantLes spectacles Disney, opportunité de reconversion pour les gymnastes

LAISSER UN COMMENTAIRE

Merci d'inscrire votre commentaire !
Merci d'indiquer votre nom