Pour la première fois de l’histoire, quatre gymnastes tchadiennes ont participé aux championnats d’Afrique qui viennent de se dérouler à Marrakech en ce début du mois de mai 2024. Retour sur une belle histoire humaine, sportive, symbolique et chargée d’espoir.
Elles s’appellent Atcha Derib, Cécilia Denemian, Anne Marie Nodjilelmbaye et Grace Fonai-Gna, elles ont entre 16 et 17 ans, et elles ont toutes les quatre laissé leur empreinte dans l’histoire de la gymnastique internationale. Une histoire remarquable de courage et de détermination pour ces quatre gymnastes qui ont dû surmonter de nombreux obstacles avant de pouvoir concourir sur la scène internationale et de représenter fièrement leur pays. Leurs couleurs. Leur histoire.
Quatre jeunes gymnastes représentant non seulement un pays où la gymnastique artistique est presque inexistante, mais aussi une nation où les femmes et les filles sont souvent confrontées à d’importants défis sociaux et économiques, le Tchad étant l’un des pays les plus pauvres et les moins développés du monde, où 83% de la population vit en dessous du seuil d’extrême pauvreté et où seulement 30% des enfants vont à l’école. Alors à Marrakech, où se déroulait les championnats d’Afrique, l’histoire aussi belle qu’elle soit, véhicule également un vrai message d’espoir pour toute une communauté.
Pour mieux comprendre cet événement historique et symbolique sur bien des points, il faut remonter le temps et partir en Espagne. Nous sommes en 2015 lorsque Ramon Grosso, président de la Fondation Ramón Grosso (association à but non lucratif qui mène des actions caritatives et sociales visant à soutenir les jeunes défavorisés, les personnes en situation de handicap et les communautés vulnérables à travers des projets liés au sport, à l’éducation et au développement communautaire, NDLR) a présenté le père Camille, un jésuite tchadien, à Sylvia Garcia, présidente du club de CGA Pozuelo en Espagne lors d’une compétition internationale organisée par son club.
L’autonomie des jeunes filles par la gymnastique
Captivé par le potentiel d’autonomisation des femmes par la gymnastique, avec cette intime conviction que la gymnastique pouvait avoir un impact transformateur, le père Camille a alors demandé à Sylvia Garcia de créer une école de gymnastique dans son école au Tchad. La Fondation, qui soutient déjà une école de football et de basket-ball au Tchad, décide par la même occasion de soutenir le projet, lançant alors un programme de promotion de ce sport auprès des jeunes filles tchadiennes. La première pierre à l’édifice. Les bases d’un projet solidaire et humain dont la gymnastique est au coeur, véhiculant un véritable message d’espoir et d’espérance.
En 2016, Ramon Grosso et Sylvia Garcia se rendent donc au Tchad et découvrent les besoins du pays. Un défi de taille puisque le Tchad ne disposait pas d’installations, la gymnastique n’y était pas du tout pratiquée, la Fédération tchadienne de gymnastique n’existant même pas.
Grâce à Sylvia Garcia et la Fondation Grosso, les jeunes Tchadiennes découvrent alors la gymnastique. Le début d’une belle aventure et d’un projet aussi fou que magnifique qu’un jour une gymnaste tchadienne participerait aux Jeux Olympiques. “Aucune d’entre elles ne connaissaient la gymnastique avant” , nous révèle Sylvia Garcia. “Elles ont connu ce sport au Tchad, dans l’école que nous avons créée là-bas en 2016. Elles avaient appris à faire quelques éléments au sol, mais sans toutefois avoir une bonne technique. Elles n’avaient jamais vu d’agrès et elles ne connaissaient qu’un tapis de sol.”
Une détection est ensuite réalisée afin d’identifier les jeunes filles qui pourraient venir s’entraîner en Espagne afin de progresser et représenter à terme le Tchad à l’international. “La détection s’est faite sur la base de leur engagement dans leurs études et de ‘l’entraînement’ qu’elles ont suivi au Tchad” , explique Sylvia Garcia. “Il était important pour nous de savoir qu’elles étaient responsables de leur entraînement et de leur gymnastique, et que toutes aient un bon dossier scolaire.” Avant cela, quelques filles s’étaient déjà rendues en Espagne en été, la sélection s’était faite sur les mêmes critères, avant de devenir entraîneurs au Tchad.
C’est en janvier 2020, en plein hiver, que quatre jeunes filles identifiées quelques mois plus tôt par la sélection arrivent en Espagne. Elles n’ont alors que 12 et 13 ans, n’avaient encore jamais quitté leur pays, leur famille, ne parlaient pas un mot d’espagnol et n’avaient encore jamais connu de froid aussi intense. Mais pourtant les sourires qui illuminaient leur visage en disaient long sur l’espoir que représentait pour elle ce projet dans lequel elle venait de se lancer. “Les filles ont été accueillies dans des familles espagnoles et ont commencé un entraînement rigoureux avec Angela Dominguez au club de Pozuelo“, éclaire Sylvia. Mais en raison du Covid et de la pandémie, leur entraînement n’a réellement pu commencer que quelques mois plus tard, en septembre de la même année.
Une arrivée à Madrid, à des milliers de kilomètres de leur pays d’origine, qui a nécessité quelques ajustements. Une distance qui les a obligées à s’adapter à de nouveaux environnements et à de nouvelles cultures tout en conservant leurs solides liens familiaux. “Ces jeunes femmes n’ont pas choisi de quitter leur foyer par commodité” , précise Sylvia. “C’était une nécessité pour elles de poursuivre leurs rêves et de développer leurs compétences dans un environnement favorable. Leur parcours n’est pas seulement sportif, il s’agit de transformer des vies et d’offrir de nouvelles opportunités là où il n’y en avait pas auparavant.”
Sérieusement, assidument et avec beaucoup de passion, les quatre jeunes filles progressent jour après jour, découvrent la poutre, le saut, les barres, le praticable, les éléments, le code de pointage… jusqu’à la compétition. “Avant de participer aux championnats d’Afrique, elles ont acquis une expérience de la compétition en Espagne en évoluant sous les coeurs du club de Pozuelo“, éclaire Sylvia Garcia. “Elles l’ont fait au niveau régional dans les compétitions de Madrid et au niveau national en participant à la Ligue Ibérique. D’ailleurs les entraîneurs des autres clubs qui les ont vues concourir depuis le début sont très impressionnés par leur évolution !”
Une évolution progressive qui leur a permis de se hisser jusqu’aux championnats d’Afrique, organisés à Marrakech (Maroc) du 3 au 5 mai dernier, et de devenir les toutes premières gymnastes tchadiennes alignées sur une compétition internationale, aux côtés de certaines gymnastes qui évoluent en coupe du monde, en championnat du monde et aux Jeux Olympiques. “Seules Anne Marie, Grace, Achta et Cécilia ont pu y participer, la cinquième Bonte ne pouvant pas encore participer aux compétitions étant née en 2011” , précise Sylvia. Un moment gravé dans le marbre. Pour toujours.
Le projet est également un véritable pont culturel, les gymnastes parlant désormais couramment le français et l’espagnol et apprenant actuellement l’anglais, en plus de développer des compétences numériques de haut niveau. La présence de leurs familles aux côtés de leurs hôtes espagnols lors du championnat d’Afrique souligne également le profond soutien personnel et communautaire dont ces athlètes ont bénéficié. “Grâce à la gymnastique, ces jeunes femmes deviennent des phares d’espoir et de changement pour de nombreuses filles au Tchad” , insiste Sylvia Garcia. Une confiance des familles qui s’est révélée extrêmement importante, même indispensable, pour la bonne conduite de ce projet et l’épanouissement personnel et sportif de leur enfant. “Il n’est pas facile pour leur culture de faire confiance aux filles pour aller vivre en Europe, et il n’est pas non plus facile pour eux de faire confiance aux filles” , éclaire l’entraîneur espagnole. “Normalement, ces opportunités sont réservées aux garçons. Ces cinq familles ont été très ouvertes d’esprit et c’est ce qui a permis la concrétisation de ce projet.”
D’un point de vue purement sportif, Anne Marie, Grace, Achta et Cécilia se sont classées quatrième en équipe et ont décroché huit finales : Anne Marie et Grace en finale du saut, Achta et Cecilia aux barres asymétriques, Achta et Anne Marie à la poutre, et Grace et Cecilia au sol, avec une quatrième place de cette dernière à cet agrès.
Ejercicio de suelo de Cecilia Denemian (🇹🇩Chad) en la final de este aparato en los Campeonatos de África de gimnasia artística Marrakech 2024. 11,133 (4º puesto). ¡Medalla de chocolate🍫! Enhorabuena a todo el equipo. 👏🏽🩵💛🩷 pic.twitter.com/5kl3S8n1aT
— Gimnastas.net (@GimnastasNet) May 6, 2024
Un projet commun, des bases solides et des actions concrètes
Les gymnastes rentrent chez elles chaque année au mois d’août et les représentants de la Fondation se rendent sur place entre trois et cinq fois par an, en fonction de la situation politique et sociale, assurant ainsi la pérennité du projet. Parallèlement, la Fondation, par l’intermédiaire du club de CGA Pozuelo, dispense des cours de gymnastique artistique de base à l’Institut National de la Jeunesse et Sport (INSJ) au Tchad pour les étudiants en éducation physique, et forme des jeunes filles intéressées par ce sport. La participation des gymnastes tchadiennes au championnat d’Afrique n’est donc pas seulement un témoignage de leur résilience personnelle mais représente aussi un moment poignant de fierté nationale et d’espoir pour l’avenir des femmes dans le sport au Tchad. Une première pierre édifice, solide, dans le développement de la gymnastique au Tchad.
Une première expérience internationale qui restera dans les annales, avec un beau message d’espoir. “Ce fut une expérience incroyable. Les gymnastes ont montré leur talent et leur caractère déterminé. Elles ont apprécié la compétition et nous l’ont fait apprécier.” , se réjouit Sylvia Garcia avant de conclure : “Nous essayons désormais d’obtenir une invitation pour les Jeux Olympiques.”
Alors après les championnats d’Afrique, le Tchad sera-t-il représenté aux Jeux Olympiques ? Seul l’avenir le dira… Et comme le rappelle la Fondation Ramon Grosso, reprenant une citation de Nelson Mandela, “le sport peut créer de l’espoir là où il n’y avait que du désespoir”.