Pratique de la gymnastique de haut-niveau : entre bonheur, épanouissement de soi, sacrifices et parfois désillusion

[DOSSIER DU MOIS DE JUIN – VOLET 5/5] Comme nous avons eu l’occasion de le voir dans les premiers volets, la pratique de la gymnastique de haut-niveau et les entrées en Pôle chamboulent un quotidien. Entre sacrifices financiers et éloignement familial, chaque rêve à un prix. Mais parfois, malheureusement tout ne se passe pas comme prévu et la frontière entre le plaisir et la désillusion devient très mince. Dans ce dernier volet, je suis allée à la rencontre de mamans qui m’ont ouvert leur coeur, pour certaines sous couvert d’anonymat. L’occasion de clôturer ce dossier avec des témoignages émouvants qui permettent de prendre conscience que tout n’est pas tout le temps tout rose et qu’en tant que parents, il faut toujours rester vigilants et être prêts à réagir si tout ne se passe pas comme prévu.

Pour beaucoup de gymnastes, une entrée en Pôle est synonyme d’un premier rêve qui se réalise. A tout juste 11 ans, les gymnastes sont prêtes à quitter leur famille, leur foyer pour vivre de leur passion au quotidien. Souvent, c’est d’ailleurs l’enfant qui se dit prêt à partir tandis que les parents sont plus réticents. “Je me souviens, lorsqu’on avait proposé à ma fille de rejoindre un Pôle, au début j’avais refusé car je ne la sentais pas prête. Et l’année suivante, elle m’a dit qu’elle voulait y aller et elle m’a demandé de la laisser partir ! A ce moment-là, j’ai vu qu’elle était déterminée et je ne pouvais pas m’opposer à sa volonté, explique une maman.

Un départ en structure de haut-niveau qui relègue parfois les parents au second plan. “Je ne regrette absolument pas tout ce qui arrive à ma fille, elle vit sa passion au quotidien, mais pour moi, c’est un peu comme si la gym m’avait volé ma fille. C’est dur à dire mais c’est la réalité. Ils partent tôt de la maison, ils deviennent autonomes et indépendants très tôt et on n’est pas là au quotidien. La distance fait que notre enfant ne rentre pas tous les week-end, parfois même il ne rentre qu’une fois par mois alors on laisse passer des choses, on ne voit pas tout et on ne sait pas tout“, regrette une autre mère de famille. “Il faut en avoir conscience.

Alors qu’elle s’apprête à entrer au Pôle de Meaux cet été, la jeune Cypriane Pilloy (2006) voit l’un de ses premiers rêves de gymnastes devenir réalité. Du côté des parents, si joie et fierté ont accompagné la nouvelle, en revanche, ils ont vécu une légère déception lorsqu’ils ont appris la destination de leur fille. “Cypriane étant de la région Grand-Est, elle dépendait du Pôle de Dijon, à deux heures de chez nous, or elle a été envoyée à Meaux. Nous avons demandé des explications et avons également demandé s’il y avait une possibilité de changer cette décision mais au final ce sera Meaux. Cypriane est contenteElle va nous manquer, à nous et ses frère et sœur. Mais on se doit de la soutenir dans son projet qui sera une magnifique aventure pour elle. C’est ce qu’elle veut et nous essayons au mieux de lui permettre de réaliser ce rêve“, sourit sa maman.

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Cypriane Pilloy rejoindra le Pôle de Meaux dès cet été.

Une distance géographique avec laquelle les parents doivent donc apprendre à vivre et une nouvelle vie qu’il faut appréhender. “Il faut savoir doser, savoir être présent mais trop non plus“, m’avait confié il y a quelques mois, à quelques jours du début des Jeux Olympiques de Rio, Deborah Lechenault, la maman d’Oréane : “Au début, on avait du mal à trouver notre place mais Eric et Céline Boucharin avaient été très bien. Ils nous avaient expliqué où était notre place. Quel rôle on devait avoir. Nous avions alors appris à prendre du recul, à être dans la compréhension également. Ils ont su nous orienter et heureusement qu’on a pu avoir ces discussions avec eux. Ensuite, avec le temps, on a appris à trouver notre place.”

Une place qu’apprendront à trouver, avec le temps, les parents de la jeune Anakéa Granier, future pensionnaire du Pôle de Saint-Etienne. Mais la maman ne peut cacher son appréhension. “L’éloignement m’arrache le coeur bien évidemment. Et le mot est faible“, livre Isabelle, sa maman. “Je crois même pouvoir affirmer que mon ressenti est indescriptible. Seule une maman peut comprendre cela il me semble. Cependant, je me dois d’être forte et ne rien laisser paraître devant Anakéa. Ce qui me rassure dans tout ça, c’est qu’après de multiples conversations avec elle, je me rends compte que c’est réellement son choix, son voeu, son rêve d’aller au Pôle de Saint-Etienne. Ce n’est pas pour faire plaisir à son coach ou pour faire pareil que ses copines. Elle a une réelle envie de progresser, de faire partie de l’équipe de France et pourquoi pas viser les Jeux Olympiques 2024. Ambitieuse et déterminée, elle l’est et tout ça me rassure beaucoup. Elle a travaillé si intensément pour y accéder que mes sentiments, quels qu’ils soient, n’ont pas d’importance. Le bonheur et l’épanouissement de ma fille sont mes seules priorités.

Mais bonheur et épanouissement de son enfant passe aussi par des coups durs. “C’est dur aussi en tant que maman d’avoir sa fille à l’autre bout du téléphone et de l’entendre pleurer. De l’entendre nous dire qu’elle veut abandonner car elle n’arrive à rien, qu’elle n’est bonne à rien“, confie une maman qui préfère rester anonyme. Et d’ajouter : “Comme je lui répète à chaque fois, si elle veut arrêter, elle arrête. Mais à chaque fois que je lui dis ça, elle se reprend et me dit que non, elle est heureuse. Ce sont des coups de blues et il faut savoir être là. Malheureusement, dans ces moments-là, je regrette de ne pas pouvoir la prendre dans mes bras pour la rassurer, la réconforter. C’est difficile à vivre, il faut que tous les parents des futurs gymnastes en aient conscience. Et surtout je préfère être honnête avec elle. Je ne peux pas lui assurer qu’un jour, elle fera les Jeux Olympiques, son rêve ultime. Je n’ai pas envie de lui donner de faux espoir. Je me dois de lui remettre les pieds sur terre.

Financièrement, et comme on a eu l’occasion de le voir dans les volets précédents, la pratique de la gymnastique de haut-niveau entraîne également beaucoup de sacrifices. Car une entrée en Pôle coûte chère. Plus de 10 000 euros. “C’est beaucoup d’argent que nous devons dépenser pour Cypriane, explique Adeline, sa maman. Nous nous étions renseignés donc nous savions plus ou moins à quoi nous attendre. Nous allons devoir alléger un peu notre train de vie et travailler un peu plus afin de ne pas pénaliser les deux plus jeunes. Nous sommes en train de travailler sur ce point. Nous réfléchissons à créer une association pour l’aider. Nous allons également lancer une cagnotte sous peu. Nous espérons qu’elle aura du succès. Nous allons aussi demander à notre ville, au conseil départemental et régional ainsi qu’au comité régional grand est. Le club devrait participer également mais rien n’est encore acté. Nous tenterons aussi de démarcher des partenaires. Malheureusement, il y a très peu d’aides pour les gymnastes. C’est bien dommage.

De son côté, Nathalie, la maman de Zachari Hrimèche explique avoir dû faire des sacrifices mais ne regrette rien. “Croyez-moi cela vaut le coup ! À 8 ans, mon fils voulait partir en Pôle. J’ignorais tout des contraintes financières mais il était déterminé. Ils ont ouvert aux Sixième, lui et un autre gym sont entrés en Pôle mais je n’ai pas eu d’aide au départ, hormis un peu de la part de la région. Je devais même payer au club les déplacements nationaux ! J’ai dû emprunter en me demandant au fil des années comment j’allais m’en sortir. Heureusement, les résultats m’ont permis de sortir la tête de l’eau car je n’aurais pas pu suivre une année de plus ! Mais sa détermination ne fait qu’amplifier au fil des années et huit ans après, je ne regrette rien. Même les nuits sans sommeil.

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La jeune Anakéa Granier entrera au Pôle de Saint-Etienne pendant la rentrée. Un départ qui “arrache le coeur” à sa maman, Isabelle.

Mais parmi toutes les entrées en Pôle, certaines histoires ne se terminent pas forcément sur une bonne note, avec quelques départs prématurés. Souhaités pour certains et forcés pour d’autres. “Ma fille a été marquée par son départ forcé d’une structure de haut-niveau. Elle n’avait pas été préparée, et nous, en tant que parents, nous n’avions pas non plus été préparés. On aurait dû être informés avant pour pouvoir commencer à mettre en place un travail, en amont, auprès de notre fille. Alors que là, c’est comme si on avait pris une porte en pleine figure. Il ne faut pas oublier que nos enfants n’existent que par leur sport et que tout s’écroule du jour au lendemain. La Fédé devrait les préparer et je leur reproche de ne pas l’avoir faitMais malgré tout cela, je ne regrette absolument pas d’avoir laissé ma fille tenter l’expérience du haut-niveau. Si c’était à refaire, je le referai. Car elle a vécu plein de merveilleux moments, elle s’est épanouie dans son sport, elle est devenue indépendante et autonome très tôt, mais à l’avenir, il faudrait vraiment que la Fédé prépare davantage les filles à un éventuel départ prématuré et forcé. On ne peut pas les laisser partir comme ça, il faut vraiment les préparer, ils doivent travailler sur cela. Car nous, en tant que parents, on se retrouve désemparé face à la situation. On voit notre enfant souffrir. Alors on le rassure, on l’écoute, on l’épaule mais une fois qu’on n’est plus face à lui, il nous arrive de pleurer face à sa détresse” , livre, la voix emprunte d’émotion, cette maman qui préfère rester sous couvert d’anonymat. Et de conclure : “Mais après, il y a tout de même un suivi mis en place afin d’aider le ou la gymnaste dans sa reconversion. Il y a cet appui-là. Mais je pense que ce suivi est bien lorsque le gym a décidé de partir de lui-même, pas lorsqu’il a été forcé de quitter sa structure…”

Propos recueillis par Charlotte Laroche

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1 COMMENTAIRE

  1. Ma fille arrête le H N( c est son choix ) et j aimerais pouvoir dire la vérité sur ce milieu si fermé aux parents et les avertir que tout n est pas si rose et que le jeu n en vaut vraiment pas la chandelle !!! ( santé, mental, reconversion, coût, reconnaissance, concurrence ….. et bien d autres aspects
    Je désire rester anonyme

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