Ancienne membre de l’équipe de France de gymnastique acrobatique, Madeleine Bayon, 25 ans, est entrée dans l’histoire en devenant la première Française à avoir disputé une étape des Red Bull Cliff Diving World Series, la compétition par excellence de plongeon à 20 mètres. C’était du 16 au 18 juin dernier, à Paris, avec vue sur la Tour Eiffel. Présentation d’une sportive hors-pair.
Spot Gym : Madeleine, tu viens de disputer le Red Bull Cliff Diving à Paris, comment as-tu vécu cette étape de coupe du monde ?
Madeleine Bayon : C’était une expérience magique ! En terme de performance pure, ce n’était pas mes meilleurs plongeons, je fais bien mieux à l’entraînement, mais bon c’est normal, ce n’est que ma troisième compétition de plongeon, il y avait beaucoup de pression, de stress, surtout que c’était en France, dans mon pays, devant mes proches qui pour certains me voyaient plonger pour la première fois et il faut encore que je gagne en expérience. Mais sinon c’était juste incroyable ! Le public français était super, il y avait 40 000 personnes sur les 2 jours, et être avec tous ces plongeurs qui sont dans le top mondial et qui m’encourageaient, c’était incroyable. J’ai encore de la marge de progression mais j’ai beaucoup de chance d’avoir pu participer à cette étape en France, dans mon pays. C’était magique.
Avant de te lancer dans le plongeon de haut vol, tu as pratiqué la gymnastique acrobatique à haut-niveau et en équipe de France, peux-tu revenir sur ton parcours de gymnaste ?
Quand j’étais petite, je faisais plein de sport, dont la gymnastique acrobatique. À l’époque, je vivais au Portugal. J’ai commencé à l’âge de 6 ans mais pas très sérieusement. À 9 ans, j’ai même décidé d’arrêter avant de reprendre à mes 10 ans de manière beaucoup plus sérieuse ce qui m’a permis de beaucoup progresser et surtout de progresser rapidement. À 11 ans, j’ai fait mes premières compétitions internationales et à 12 ans, j’ai participé à mes premiers championnats du monde pour le Portugal. Mais au Portugal, il n’y avait pas d’horaires aménagés et comme les études ont toujours été importantes pour moi et que ça commençait à devenir compliqué de mener de front l’école et les entraînements sans horaires aménagés, j’ai contacté la France car je suis Française et je savais qu’en France il y avait des dispositifs incroyables pour les sportifs. Je me suis renseignée et j’ai déménagé à mes 12 ans pour pouvoir continuer la GAC à haut-niveau en parallèle de mes études. J’en ai fait deux ans à Rennes puis deux ans au pôle d’Antibes. J’ai matché en équipe de France jusqu’à l’âge de mes 17 ans et ensuite j’ai arrêté en 2014, juste après les championnats du monde.
Pourquoi avoir arrêté la gymnastique acrobatique ?
La gymnastique acrobatique est un sport intense et j’étais voltigeuse. À 17 ans, notre corps n’est plus le même et ça commençait à devenir compliqué de me porter pour mes porteuses. Je ne voulais pas passer porteuse car ce que j’aimais c’était voltiger, faire des saltos, donc pour pouvoir continuer ma carrière de voltigeuse, j’avais pour ambition de rejoindre le Cirque du soleil. J’ai attendu deux ans, l’année de ma Terminale puis ensuite j’avais pris une année sabbatique. J’étais dans leur base de données mais ils ne m’ont jamais appelée. À ce moment-là je continuais de m’entrainer toute seule dans ma chambre mais comme ils ne m’appelaient pas, j’ai pris la décision d’abandonner ce rêve car je ne pouvais pas continuer à m’entraîner sans visibilité. Et comme je voulais continuer mes études, j’ai débuté mes études supérieures en management. Je suis partie étudier à Londres, de 2016 à 2020, et j’ai complètement arrêté la gym… et même le sport en général.
Comment en es-tu arrivée au plongeon ?
Après mes études à Londres et à Hong Kong où je suis restée un an, je suis partie m’installée à Madrid où j’ai décroché mon premier emploi chez Amazon Web Services. J’étais en télétravail donc je passais 10 heures par jour dans ma chambre. Même si j’aimais beaucoup mon travail, ça devenait compliqué pour moi de passer toutes mes journées dans ma chambre et je me suis dit qu’il fallait absolument que je fasse un sport. J’ai tout de suite pensé au plongeon car faire des saltos me manquait et pour moi le plongeon était le sport idéal pour une gymnaste retraitée car l’eau ça ne faisait pas trop mal (Rires).
Comment es-tu arrivée à faire du high diving, du plongeon de haut vol ?
Au début, j’ai commencé le plongeon classique en loisir à Madrid, mais j’étais entraînée par le coach de l’équipe nationale d’Espagne. Il y avait 2 athlètes Red Bull dans ma piscine, on se croisait de temps en temps et un jour ils m’ont dit ‘tu devrais faire des compétition de Cliff Diving’ mais c’était plutôt quelque chose qu’on disait pour rire. C’était comme si quelqu’un venait de commencer le tennis et qu’on lui disait de participer à Rolland Garros. Mais en 4-5 mois, j’ai pas mal progressé et du coup j’ai commencé à y penser de plus en plus. Surtout que plonger juste pour le fun, je ne m’y retrouvais plus trop donc je me suis dit pourquoi pas me relancer dans un objectif de compétition, et de Cliff diving. Pas en plongeon ‘normal’ car j’avais des facilités pour rentrer dans l’eau par les pieds, comme à la gym en fait, et je trouvais le plongeon normal moins intéressant car c’était un peu trop similaire à la gym dans le sens où on allait se battre pour savoir qui aurait la meilleure pointe de pied. J’ai commencé à échanger avec mon coach pour savoir s’il pensait que j’étais capable de faire du high diving, il m’a répondu que techniquement il allait falloir beaucoup beaucoup beaucoup s’entraîner mais que comme j’avais déjà fait du haut-niveau, je savais ce que ça impliquerait. Donc du jour au lendemain, j’ai commencé à m’entraîner tous les jours, à aller à la salle de sport pour faire du renforcement musculaire et à me projeter vers autre chose. Le souci c’est qu’en high diving, il n’y pas de compétitions intermédiaires, ni de petites compétitions donc pendant deux ans et demi, je me suis entraînée sans faire de compétitions. Au bout de deux ans et demi, j’ai pu participer à ma première compétition. Il y a un an j’ai fait un week-end en Autriche où il y avait un ascenseur qu’on peut monter mètre par mètre ce qui m’a permis de plonger mètre par mètre. J’ai commencé à 12 puis 13 puis 14 et je suis arrivée jusqu’à 18 mètres. En février, je suis allée aux Etats-Unis pour faire mes premiers plongeons à 20 mètres. J’ai fait 4 plongeons que j’ai filmés, je les ai envoyés à Red Bull et à la Fédération française. Il y a deux mois j’ai fait ma première coupe du monde aux Etats-Unis et ensuite mi-juin j’ai participé à l’étape Red Bull à Paris.
Cette période des 2 ans et demi à t’entraîner sans faire de compétitions n’a pas été trop longue ?
C’était long oui mais une fois que j’ai fait mes premiers sauts à 20 mètres, tout est allé très vite. Avec mon entraîneur, on a beaucoup travaillé sur la technique afin que le jour où je plonge à 20 mètres, mes sauts soient bien exécutés car sinon le plat est fatal ! C’est d’ailleurs pour ça qu’il y a très peu de personnes qui font ce sport car on ne peut pas se permettre de faire ça mal sinon on peut vite se blesser.
Où te situes-tu par rapport à la hiérarchie mondiale ?
En terme de niveau, par rapport aux premières mondiales, je fais des plongeons très faciles pour le moment. Mais c’est normal, je commence tout juste.
Qu’est-ce que tu aimes dans le high diving ?
Les saltos ! C’est d’ailleurs ce qui me plaisait déjà en gymnastique acrobatique. Je me souviens, petite déjà, je n’avais jamais peur d’apprendre de nouvelles figures, au contraire. C’est vraiment quelque chose que j’aime. Et le high diving, c’est un sport que j’ai commencé en tant qu’adulte donc je suis beaucoup plus consciente de mes émotions, de mon psychologique par rapport à quand je faisais de la gymnastique acrobatique car j’étais jeune. En high diving, tout est dans la tête et c’est ce qui fait notre force. La principale barrière est celle du mental, on apprend à surmonter cette peur et pour une deuxième carrière de haut-niveau, j’aime beaucoup cette approche qui est totalement différente de ce que j’ai pu connaître plus jeune en gymnastique.
Comment s’est passée la mise à l’eau au tout début où tu t’es mise au plongeon?
Au début c’était assez dur pour moi car en plongeon classique il fallait rentrer par la tête. Mais j’ai toujours eu une bonne sensation de mon corps dans l’espace donc j’arrivais à me repérer quand même facilement. La technique est différente aussi ce qui a fait que j’ai dû tout reprendre à zéro. Même des chandelles droite du bord de la piscine ! J’ai passé beaucoup de temps à apprendre les techniques de base, mais au final, j’ai trouvé ça assez marrant le fait de passer des championnats du monde de gymnastique acrobatique à de devoir faire des chandelles depuis le bord de la piscine alors que je voulais sauter à 20 mètres. Ça m’amusait de me dire que je repartais de 0 (Rires).
Et les débuts en high diving, c’était comment ?
Au high diving, on rentre par les pieds, mais jusqu’à 10 mètres on rentre par la tête. En fait, on décompose en 2 parties. On travaille les plongeons en rentrant par la tête jusqu’à 10 mètres et ensuite on fait la deuxième partie où on se redresse pour entrer dans l’eau par les pieds. Ce sont deux choses qu’on travaille séparément. Donc c’est un vrai challenge mental et il faut avoir confiance en notre corps pour qu’il mette les 2 bouts ensemble en quelques secondes et à 20 mètres pour pouvoir réaliser un bon plongeon.
À quelle vitesse entre-t-on dans l’eau quand on plonge à 20 mètres ?
On rentre dans l’eau à 80 km/h donc ça peut être violent ! Il ne faut pas se louper.
Quel est ton rythme d’entraînement ? Et ton rythme tout court ? Tu continues toujours de travailler ?
Oui, je suis toujours commercial pour Amazon Services à Madrid. Je m’entraîne 3h par jour environ, tous les jours de la semaine. Je m’entraîne à la piscine le matin, 1h de travail à sec sur des tapis, des trampolines, etc, et 1h dans l’eau. En fin de journée, je fais également 1h à 1h30 de prépa physique à la salle de sport. La prépa physique est très importante pour pouvoir être explosive, faire des sauts mais aussi pour l’impact dans l’eau car il est tellement fort qu’il faut faire beaucoup de renforcement musculaire pour ne pas se faire mal. Le week-end, je ne m’entraîne pas. Donc sur la semaine, je m’entraine une quinzaine d’heures environ.
Quels sont tes objectifs désormais ?
Cet été, je vais participer aux championnats du monde au Japon avec tous les autres sports aquatiques. Là-bas, mon objectif est de réaliser mes plongeons de manière très bien exécutée et d’acquérir de l’expérience, car il faut que je gagne en expérience, que j’apprenne à mieux gérer la pression pour mieux exécuter mes plongeons. C’est mon objectif à court terme. Ensuite, à moyen terme la saison prochaine, mon objectif est de travailler des plongeons plus difficiles pour monter en difficulté. Enfin, à long terme, j’aimerais intégrer le circuit permanent de Red Bull qui compte 6-7 compétitions par an, avec 12 femmes, dont 8 plongeuses permanentes. J’aimerais faire partie des 8 plongeuses permanentes. Et si le high diving devenait discipline olympique aux Jeux de Los Angeles en 2028, j’aimerais y participer mais bon là ça ne dépend pas de moi car il faudrait d’abord que le high diving devienne discipline olympique et c’est quelque chose qui n’est pas de mon ressort. Mais si elle le devient, j’aimerais y participer.
Propos recueillis par Charlotte Laroche