Gymnaste franco-haïtien s’entraînant au pôle d’Antibes et licencié au club de Vallauris, champion de France en titre Top 12, Pierre Stéphan est devenu le tout premier gymnaste à matcher pour le pays.

C’est une grande première. Une page de l’histoire de la gymnastique haïtienne, et de l’histoire de la gymnastique mondiale, qui va s’ouvrir et c’est un Français qui en est le principal acteur. Pierre Yvenel Augustin Stephan, né en Haïti le 16 février 2000 avant d’arriver en France à l’âge de 3 ans et demi, est le tout premier gymnaste haïtien de l’histoire de la gymnastique. Aucun gymnaste masculin avant lui n’a représenté le pays. Une revanche pour celui qui a passé une bonne partie de sa carrière blessé s’écartant alors rapidement du circuit France. Mais aujourd’hui, une nouvelle chance s’est offert à lui avec une première sélection historique qu’il a honoré à Medellin, en Colombie, à l’occasion des championnats panaméricains qui se sont tenus en mai 2023. Le début d’un nouveau cycle qu’il compte bien savourer, avec qui sait, peut-être une sélection pour Paris 2024 à la clé. Retour sur son histoire.
Spot Gym : Pierre, peux-tu revenir sur les circonstances de ce changement de nationalité sportive ?
Pierre Stephan : J’ai la double nationalité franco-haïtienne donc j’ai deux passeports. Un passeport français et un passeport haïtien. Un jour, j’ai commencé à faire des recherches sur internet sur la fédération haïtienne de gymnastique mais je n’avais rien trouvé. Puis un jour, j’ai vu qu’il y avait la Jamaïque et la République dominicaine donc j’ai poussé un peu plus loin mes recherches et je suis tombé sur un article qui parlait d’une fédération de gymnastique en Haïti. Après être entré en relation avec certaines de mes relations en Haïti, j’ai envoyé un message à la fédération afin de me présenter. Je leur ai expliqué que je faisais de la gymnastique en France, que j’étais franco-haïtien, je leur ai envoyé des vidéos, leur ai fait part de mon projet de concourir pour eux, ils ont vu mon niveau et ils ont accepté de monter un projet avec moi. En Haïti, il y a très peu d’infrastructures, ce n’est pas comme en France, donc souvent les athlètes, tout sport confondu, s’entraînent à l’étranger mais matchent pour l’équipe nationale. C’est mon cas.
Les démarches ont-elles été longues ?
La fédération haïtienne a tout de suite accepté mon projet. Ce que j’ai attendu le plus c’était mon passeport que je devais renouveler. Normalement j’aurais du le recevoir en 3 mois mais ça a mis plus d’un an ! Les passeports haïtiens passent par Washington avant d’être envoyés à l’ambassade d’Haïti à Paris. Et puis ensuite, je me suis blessé ce qui a repoussé mes débuts avec Haïti mais là c’est bon ! Je suis bien arrivé en Colombie pour disputer mes premiers Panamerican Games.
Quels sont tes objectifs et tes ambitions à l’international ?
Faire un maximum de compétitions, prendre de l’expérience et kiffer. S’il y a possibilité de faire les Jeux… GO mais sinon ce n’est pas grave. Là, je veux vraiment faire ce que j’ai à faire et kiffer ! Et puis rester en bonne santé et ne pas me blesser ! Ma dernière compétition à l’international avec l’équipe de France remonte à Liberec, c’était il y a 8 ans. J’avais matché avec Benjamin Osberger, Quentin Bègue, Dimitri Florent et Enzo Fazari. J’avais fait cette compétition là et je devais ensuite repartir sur une autre mais j’ai commencé à me blesser et c’est à partir de là que j’ai enchaîné les blessures… (Il fait une pause) Ma carrière c’est une blessure en fait (Rires).
Il y a beaucoup d’internationaux à Haïti ? Suffisamment pour composer une équipe ?
Non il n’y a personne. Il n’y a pas d’infrastructures en Haïti donc avec la Fédération on a regardé ce qu’il se passait à l’international, s’il y avait des gymnastes avec une double nationalité mais il n’y a pas grand monde, on est trois : 2 filles, Kloe Timmer, Linzee Brown et moi.
Peux-tu revenir sur ton parcours en gymnastique ?
J’ai commencé la gym à l’âge de 4 ans et demi à Tremblay en France. Avant j’avais fait un peu de tennis mais je faisais surtout des roues et pas du tennis (Rires). À l’âge de 10 ans, en 2010, je suis entré au pôle de Vélizy et en Première je suis entré au pôle d’Antibes. En 2018, j’ai aussi signé à Vallauris, club où je suis toujours licencié. J’ai fait plusieurs stages nationaux quand j’étais jeune, en espoir et au début de mes années junior. Mais ensuite j’ai enchaîné les blessures donc tout s’est arrêté pour moi. Je suis passé à côté de pas mal de stages et de compétitions car j’étais tout le temps blessé. J’ai jamais lâché mais honnêtement parfois c’était dur. Tu t’investis énormément à l’entraînement, tu t’entraînes 30 heures par semaine pour au final être tout le temps blessé, manquer plein de compétitions et finir par être évincé du système. Mais bon c’est normal, c’est le sport. Quand t’es pas bon, t’es pas bon, on a besoin de toi maintenant, pas dans 10 ans ! Mais personnellement, c’est certain que ça met un gros coup au moral. Du coup, à partir de 2007-2008, je n’ai plus rien fait. Ni à l’international ni à l’échelle nationale car je n’ai même quasiment pas fait de championnats de France élite non plus car j’étais toujours blessé. Par contre, j’ai pu matcher en Top 12 avec Vallauris.
Quel est ton rythme d’entraînement ?
Je m’entraîne deux fois par jour. Le matin de 9h à 11h30/12h et l’après-midi je fais 15h/18h-18h30. Le mercredi matin 9h-12h et le samedi matin pareil.
Tu n’es plus référencé comme gymnaste de haut-niveau en France ?
Non je suis sorti des liste PPF et je suis uniquement sur liste Top 12, ce qui me permet de continuer à m’entraîner sur Antibes, de bénéficier des infrastructures et des coachs ce qui est vraiment cool car ça me permet de continuer à pratiquer la gymnastique dans de très bonnes conditions.

Que fais-tu à côté de la gym, au niveau professionnel ?
Je suis dans l’immobilier, je suis conseiller commercial chez Orpi, ce qui me permet d’être assez libre pour m’entraîner car je peux gérer mon temps. J’ai juste une permanence à l’agence le mercredi après-midi ce qui tombe bien car je n’ai pas entraînement sur ce créneau-là. Le reste du temps, je fais de la prospection et je m’occupe de mes clients. Je suis assez débrouillard donc ça va et puis ça me permet de connaître les rouages de l’immobilier si je veux investir par la suite.
Tes blessures ont marqué ta carrière en lui donnant une trajectoire différente. Parmi tes blessures, il y a eu ta rupture au tendon d’Achille en 2022, peux-tu revenir sur les circonstances de cette blessure ?
C’était en février 2022 sur un passage au sol lors d’une rencontre Top 12 avec mon club de Vallauris. En fait, ça faisait un moment que j’avais mal au tendon d’Achille. Chaque été à la reprise, je m’étirais, je massais, je glaçais, je buvais beaucoup d’eau mais ça ne changeait rien. Mais ce n’était pas tout le temps, c’était par période. Un coup j’avais mal, après ça partait, mais ça revenait, ça repartait. Ensuite après le Covid, je suis parti aux Etats-Unis et à mon retour de vacances, je me suis lancé dans la préparation du Top 12. J’étais content car j’avais repris super bien même si j’avais quand même toujours un peu mal au tendon. En février pour notre premier match de la saison, le mardi, je m’entraîne dans la salle de Vallauris, c’est une petite salle avec un praticable bien dur et ce jour là j’avais super mal au tendon mais je me suis quand même bien entraîné. Le jeudi, on s’entraîne dans la salle de compétition qu’on avait installé à l’avance, avec un bon praticable, j’avais mal mais tranquille. Le vendredi, je ne sais pas pourquoi mais pendant ma séance de kiné, je demande à mon kiné si mon tendon pouvait péter ?! Samedi, jour de match, je vois ma tête en photo sur le post de la Fédération qui annonce les rencontres du jour alors je suis super content ! Au sol, je m’échauffe tranquillement, sans faire de grosses acrobaties. La compétition commence, je passe aux barres parallèles, je perds mon duel face à Nicolas Diez mais j’étais satisfait de mon passage même si j’ai fait une erreur au début de mon mouvement. Il avait été meilleur que moi, je perds mon duel, le résultat est logique. Après, on va aux anneaux, je ne passe pas donc je me refroidis un peu. Vient l’entracte. Au sol, je m’échauffe, je pars en double tendu, “Bob” est de l’autre côté de la diagonale pour me rattraper au cas où j’ai trop d’élan, je pars en rondade flip et là j’entends la plaque se casser et je me retrouve à plat ventre. Pour moi, c’était la plaque qui avait cassé sous mon pied mais en réalité ce n’était pas du tout ça, c’était mon tendon qui avait lâché ! Mais je n’en avais pas conscience à ce moment-là. Comme j’étais arrivé à plat ventre après mon double tendu, je me retourne et là je vois ma jambe qui tremble. Je me dis ‘Mais qu’est-ce qui se passe ?!’ Je vois Bob qui me regarde avec des grands yeux, il me demande si ça va et je lui dis ‘Je crois que la plaque a pété’. Après, je commence à comprendre qu’en fait ce n’est pas du tout la plaque, je regarde Patrick à côté du prat’, et je lui dis ‘Je crois que je me suis pété’. Il me répond ‘Quoi ?’ Je lui redis ‘Je crois que je me suis pété’. Martial, l’ostéo du club vient me voir, il tâte mon mollet, il regarde mon tendon et il me dit ‘Il y a un trou’. Ils appellent les pompiers et là on me dit ‘tu as rendez-vous avec le chirurgien lundi’. Je ne comprenais rien de ce qui était en train de se passer.
Et ensuite, tu découvres que tu t’es rompu le tendon d’Achille ?
J’arrive aux urgences, je passe des examens et ils me mettent un plâtre… mais ils me le mettent super mal et il positionne mal mon pied. Je vais voir le chirurgien le lundi, il enlève mon plâtre et il constate que le plâtre avait été mis n’importe comment et que mon pied avait doublé de volume ! Ensuite je me suis fait opérer et là je savais que ça allait être très long et que j’en avais pour au moins un an.
Comment s’est passée ta rééducation ?
J’ai été suivi par un super kiné qui était hyper présent pour m’accompagner aussi bien physiquement que mentalement. Car c’était une période très difficile mentalement. Après la rééducation, j’ai commencé à bien reprendre et le 25 février, je revenais en Top 12. Je suis revenu “fêter” l’anniversaire de mon tendon d’Achille et j’ai matché à la fixe. J’étais content de moi et de mon passage et on s’est qualifié pour les demi-finales donc c’était plutôt sympa comme retour.
Mais ensuite, peu de temps après, tu te blesses au genou ?
Oui ça s’est passé la veille de la demi-finale face à Antibes, sur mon passage au saut. Je fais une double vrilles et j’arrive sur la tranche. Je me relève assez vite, j’essaie de faire trois pas et je sens la douleur qui monte. Là je me dis ‘putain, je me suis encore fait mal’. Je vais à la pharmacie pour prendre une genouillère, j’appelle mon kiné et il me dit de passer à son cabinet. Il me fait les tests pour les croisés, il me dit que ce ne sont pas les croisés et de me reposer toute la nuit et qu’avec du repos, je pourrai peut-être matcher le lendemain. Mais je passe une nuit hyper compliquée, je glace mais je me réveille avec le genou gonflé. Au final, je me suis fait une entorse latérale interne plus une fissure du genou.
Tu as pu revenir à temps pour les championnats panaméricains ?
J’ai retiré l’attèle une semaine avant mais je ne fais pas les les agrès de jambes, et j’ai tout de même réduit au maximum mes mouvements. De toute manière, je n’y étais pas pour gagner, mais pour kiffer, revenir à l’international et prendre du galon.
Propos recueillis par Charlotte Laroche