Alors que les Championnats du monde de gymnastique rythmique à Valence viennent de commencer et que les projecteurs sont naturellement tournés vers les gymnastes, Spot Gym a souhaité s’intéresser à celles qui font naître les talents, qui sont à la base de toute la formation des athlètes et qui oeuvrent dans l’ombre des caméras, les entraîneurs, et notamment un entraîneur émérite, Aleksandra Konova, pilier du pôle de Montpellier qui a formé deux des trois meilleures individuelles françaises du moment. Quelle a été la formation de la coach bulgare ? Quelles différences majeures voit-elle avec la GR française ? Comment se sentent les filles à quelques jours de l’échéance mondiale ? Des réponses qu’Aleksandra a données avant de s’envoler pour l’Espagne et qui sont à découvrir dans ce portrait.

Une formation d’excellence en Bulgarie

Née à Varna, l’une des plus grandes villes de Bulgarie, Aleksandra y commence la gymnastique rythmique avant d’intégrer l’ensemble national bulgare à Sofia, la capitale. Une blessure l’empêche cependant de performer sur la durée à l’international. Elle deviendra quand même Vice-championne de Bulgarie.

Konova petite
En quatrième position, Aleksandra Konova

C’est en 2000 que sa carrière d’entraîneur commence. Elle débute dans l’un des clubs les plus performants du pays nommé “Iliana”, un club créé par l’actuelle présidente de la fédération bulgare Madame Raeva, qui a d’ailleurs été l’entraîneur d’Aleksandra. Elle a directement vu en la jeune entraîneur de l’époque de grandes qualités, lui confiant des gymnastes à haut potentiel : “J’avais beaucoup d’envie, cela se voyait que je souhaitais réussir dans ce métier. Iliana a vu la flamme dans mes yeux et m’a donc aidée et formée. Grâce à elle, j’ai énormément appris. Dès la première année, elle m’a confié une gymnaste avec beaucoup de talent. J’étais très jeune et elle aussi. Nous avons réussi à la qualifier pour les Championnats du Monde individuels en 2003 et elle a représenté la Bulgarie“, raconte Aleksandra. Cette gymnaste, c’était Zornitza Marinova, elle sera médaillée olympique l’année suivante à Athènes au concours par équipe. Aleksandra restera huit ans dans ce club, rencontrant et formant des gymnastes de très haut niveau, les menant aussi bien en ensemble qu’en individuel sur le haut du podium : “De la même façon qu’en France lorsqu’il y avait les Villancher, là-bas, on faisait les deux, ensemble et individuel. C’est un grand club Iliana donc forcément on était souvent en tête”, explique-t-elle.

Club Konova
Une de ces filles a fait partie de l’ensemble bulgare et est vice championne du monde sénior en ensemble.

Mais Aleksandra souhaitant voir ce qu’elle pouvait faire d’elle même sans bénéficier d’une grosse structure comme Iliana, décide de créer son propre club : “L’autre côté de ce sport, c’est de former des petites dès leurs débuts en leur apprenant la base. Et moi, je n’avais eu pour le moment que de superbes gymnastes déjà formées. J’avais donc loué une salle d’EPS dans une école pour monter ce petit club que j’adorais. Je travaillais là-bas le soir après ma journée à Iliana. Ça m’a permis de voir que je pouvais former aussi”, déclare-t-elle.

L’arrivée en France, un départ très peu anticipé

Mais alors, pourquoi avec d’aussi belles réussites Aleksandra Konova a-t-elle quitté la Bulgarie pour la France en 2009 ? Elle répond ainsi : “Après ces huit ans, Iliana m’a proposé l’équipe nationale junior, sauf que je ne me sentais pas prête, cela m’a fait peur. Je n’estimais pas mériter encore une si grande responsabilité. Elle a été très étonnée, car elle me connaissait comme la plus travailleuse et ambitieuse”. En Bulgarie, il est difficile de refuser une telle proposition et bien qu’elle se plaisait énormément au club, Aleksandra prend la décision de quitter le haut niveau et le monde sportif, un petit crève coeur pour la jeune femme âgée alors d’une trentaine d’années.

Six mois plus tard, la fédération bulgare et plus particulièrement Rossina Atanasova, la fille de l’entraîneur d’Éva Serrano, l’appelle : “Elle parlait couramment français et connaissait tout le monde à Montpellier, grâce à sa mère. Elle m’a dit qu’ils recherchaient là-bas un entraîneur pour trois mois pour dépanner durant le congé maternité d’Hélène Nollet. Moi je ne savais même pas où était Montpellier et dans tous les cas je souhaitais couper avec la GR et je ne voulais surtout pas quitter la Bulgarie”, narre Aleksandra. Il faut croire que son interlocutrice fut convaincante puisque l’entraîneur bulgare s’envole pour la ville du sud de la France qui, comme Varna, sa ville natale est proche de la mer : “Elle m’a dit qu’il n’y avait pas de pression, que le travail serait différent. J’ai demandé si je pouvais emmener mon mari, elle a dit oui, et c’est comme ça que je me suis décidée à partir pour ces trois mois. Jamais je n’aurais cru que je serais restée. J’ai mis du temps à reconnaitre que j’habitais en France. Je pensais toujours que c’était pour une courte période. Mais un mois de plus et un mois de plus et voilà, douze ans plus tard je suis toujours là”, avoue-t-elle avec amusement, ajoutant, “Mais ça me plait tellement. La première chose que j’ai aimé en France, ce fut Hélène Nollet. C’est quelqu’un de super gentil et de bienveillant. Je me suis alors dit que les Français étaient des personnes très agréables, ça m’a rassurée, parce que je ne suis pas du tout émigrante dans l’âme. J’ai tenté d’aller en Allemagne trois fois pour un mois, je n’y arrivais pas, j’étais en larmes, mais en France ça a été autre chose”.

Aleksandra Konova et Hélène Nollet
Aleksandra Konova et Hélène Nollet

Pour rien au monde, Aleksandra Konova ne regrette ses choix ayant toujours voulu être entraîneur : “En CP, quand on me demandait ce que je voulais devenir, c’était “entraîneur”, il n’y avait pas de deuxième option et cela n’a jamais changé. J’ai pris la bonne décision, je voulais faire tout étape par étape et mériter les choses. Cela me plait beaucoup plus ainsi”.

Les premières années au pôle de Montpellier, un tout autre système

Bien qu’elle n’avait pas l’intention de rester, Aleksandra Konova s’est accommodée de la vie française : “En arrivant, je savais dire ‘bonjour’, ‘merci’ même pas ‘au revoir’. J’avais un dictionnaire avec moi et j’écrivais dans un cahier les mots de base ‘tête’, ‘bras’, ‘jambe’, ‘droite’. Je me suis retrouvée seule face à six filles qui ne parlaient pas anglais, mais moi non plus d’ailleurs, j’avais appris l’allemand en Bulgarie, ce qui ne sert à rien au sud. Mais les filles de l’époque m’ont beaucoup aidée. C’était un rêve d’apprendre à parler le français, j’aime tellement ça”, se rappelle-t-elle avec enthousiasme. La génération que l’entraîneur découvre à son arrivée était composée d’Ambre Chaboud, Julie Marques, Mathilde Lartigue, des noms dont on se souvient encore aujourd’hui. Elle garde un souvenir inoubliable de cette époque : “C’était un groupe merveilleux, les filles étaient super agréables. C’était le début donc elles resteront toujours dans mon coeur.

Outre des gymnastes sympathiques et motivées, la Bulgare découvre un tout autre système qu’en Bulgarie notamment au point de vue scolaire. Effectivement, en Bulgarie, le rythme de l’école est tout à fait différent ; un mois sur deux les élèves vont en classe le matin, l’autre mois ils étudient l’après midi. Ce programme permet aux enfants de dédier une demie journée complète aux activités extra scolaires, même si cela est pratiqué à un nouveau loisir. “En tant que maman, j’apprécie beaucoup que l’accent soit mis sur l’école, vraiment c’est génial que ce soit en première place. Mais pour les sports qui demandent énormément d’heures d’entraînement, comme nous qui devons nous entraîner entre six heures et huit heures par jour car la coordination est hyper difficile, il n’est a priori pas possible de faire du haut niveau avec l’école. Ces conditions ne sont pas comparables avec celles de l’est où il n’y a pas à sacrifier sa scolarité et sa famille pour le sport”, constate Aleksandra, qui n’omet pas de souligner que les très bonnes gymnastes en Bulgarie et ailleurs sont professionnelles contrairement à la France. Tout cela permet en grande partie d’expliquer que les gymnastes des pays de l’est performent davantage à l’international : “C’est du temps gagné depuis que les filles sont petites. Elles sont formées beaucoup plus tôt. En Bulgarie par exemple à huit ans, elles font six heures par jour et c’est complètement normal, même si il n’y a pas la perspective d’entrer en équipe nationale. Si elle a choisi ce sport c’est avec ce volume horaire dès la première année”, décrit Aleksandra qui poursuit “Quand on reçoit les filles au pôle à onze ans, on a beaucoup plus de chose à leur apprendre qu’en Bulgarie au même âge. Ça se rattrape en sénior, mais c’est pour ça qu’en junior en France, on a du mal et pourtant les clubs et les pôles travaillent extrêmement bien avec le peu de temps qu’ils ont”.

Aleksandra Konova a donc ajusté ses méthodes dans ce pays où on ne demande pas tout à tout prix : “Ce n’est pas par obligation, mais je me suis adaptée naturellement, peut-être aussi en observant Hélène Nollet. J’ai aimé qu’en France, on cherche à garder les enfants heureux, mais cela a toujours été ma croyance, même en Bulgarie“, confie-t-elle. Elle dit avoir beaucoup appris des filles, mais grâce à la fédération aussi qui met en place de nombreuses formations techniques, un effort qu’elle salue.

Pôle Montpellier
Les gymnastes et entraîneurs du pôle de Montpellier

Une philosophie sportive propre

Aleksandra Konova n’a pas mis longtemps à faire ses preuves en France. Si à son arrivée, les pôles espoirs avaient pour mission de former les gymnastes et de les envoyer à l’INSEP une fois séniores, désormais ces dernières restent dans leur pôle. C’est pourquoi, la répartition des gymnastes du pôle de Montpellier a quelque peu changé depuis. Tandis qu’Aleksandra s’occupe des quatre séniores, Emilie Bohn est responsable des six juniors et espoirs : “On n’avait jamais séparé les groupes par âge avant, mais là on s’est senti obligé, parce que ce n’est pas du tout le même travail. Avec les espoirs, il faut réellement montrer la base, alors qu’avec les grandes, moi je fais autre chose quand même”, développe-t-elle. Le volume d’heures d’entraînement a également nettement augmenté pour atteindre les nouveaux objectifs des athlètes.

La chose à laquelle l’entraîneur bulgare donne le plus d’importance lors des créations chorégraphiques est la personnalité de la gymnaste. “Je m’inspire tant de la personnalité de l’enfant. Quand je vois une fille, rien que de la voir bouger, ça m’aide de différentes manières”, pointe-t-elle. Et justement, les séniores dont Aleksandra Konova s’occupe ont de franches caractéristiques selon elle : “Chaque fille a deux personnalités, leur visage d’actrice sur le praticable ne correspond pas toujours à leur vraie personnalité. L’exemple parfait c’est Maëlle. Dans la vie, elle est super rigolote, naturelle. Elle ne drague pas, elle ne cherche pas à être ultra féminine, par contre dès qu’elle se place en pause de début, elle est si élégante, sexy même. Puis, l’enchaînement se termine, elle blague et elle court comme un garçon”.

Aleksandra ne tarit pas d’éloges sur ses gymnastes. Toute personne qui la verrait en compétition remarquerait le climat de sérénité qu’instaure l’entraîneur auprès des filles. Un sourire bienveillant en fin de passage, même si celui-ci n’était pas à la hauteur : “En même temps, qu’est-ce qu’on peut changer. C’est tellement inutile de se prendre la tête après le passage. Elle ont fait le max, j’en suis consciente, elles n’ont pas fait exprès de rater. Elle savent que la prochaine fois, ça peut-être mieux ou pas, et alors ? C’est ce qui est le plus précieux à Montpellier et je ne le changerai jamais”.
Elle renchérit : “Je pense qu’on a toutes compris que le travail doit nous apporter du plaisir. C’est notre point fort. Les filles ont appris à faire face à l’échec, mais aussi au succès car ce n’est pas évident non plus. Cela prend du temps de considérer cela comme un plaisir et non pas comme un sacrifice. Car parfois, un manque d’attention ou une faute bête fait s’écrouler tout le travail mené pendant l’année. Elles ont réalisé que le résultat n’était pas le plus important et qu’à la fin de tout cela il restera beaucoup. Ce sont des enfants qui représentent un pays et c’est déjà un assez gros poids”.

“Patiente”, c’est l’adjectif qu’elle utilise pour se définir : “Trop peut-être. En tout cas, j’adore ce que je fais. Je dirais donc patiente et passionnée. Je ne sais pas si c’est une bonne chose mais j’accompagne les gymnastes vers leurs objectifs. Je m’adapte et je ne reste pas juste sur mes objectifs. Si je vois que la fille n’a pas envie, je baisse mes attentes. Donc je suis assez souple, on va dire. Pour autant, j’ai monté mon exigence, parce que le contexte olympique le demande”.

Maëlle Millet et Lily Ramonatxo, deux gymnastes en préparation pour Paris 2024

Millet, Konova, Ramonatxo
Maëlle Millet, Aleksandra Konova et Lily Ramonatxo

Montpellier compte deux individuelles séniores en préparation pour les Jeux Olympiques, Maëlle Millet et Lily Ramonatxo, une prouesse rarement vu auparavant. Mais cela est aussi une chance, car les deux jeunes filles se tirent vers le haut l’une l’autre : “C’est difficile d’un côté, car pour moi c’est un double projet, mais ça facilite certaines choses. Elles se montrent l’exemple, elles se donnent le rythme et elles s’entraident, ce qui m’évite de faire des acrobaties”, ironise l’entraîneur.

Il faut remarquer aussi la différence de style entre les deux Montpelliéraines, l’élégance contre l’énergie : “Maëlle est très gracieuse, tout est naturel pour elle, elle touche très bien l’engin et crée d’elle même les choses. Lily, c’est plutôt la pile de batterie, ping pong sur le praticable. Si l’une dort sur le praticable, l’autre court de gauche à droite, ce qui la réveille et à l’inverse elle la calme à un autre moment. C’est super d’avoir les opposés, car j’ai les exemples”, indique l’entraîneur.

Les deux séniores qui s’entraînent ensemble depuis toutes petites continuent à faire le même programme. Pour Lily Ramonatxo, réserve individuelle actuelle, on imagine la frustration. Son entraîneur nous explique la situation : “Lily est en stand-by et prête si quelque chose arrive. Elle sait qu’il n’y a pas beaucoup de chances, mais elle accepte et sait que sa place est meilleure que la quatrième place. Elle est troisième et beaucoup de gymnastes qui ont travaillé autant n’ont pas cette chance. Elle participe à des coupes du monde, ce n’est pas donné à tout le monde. C’est la meilleure façon de voir les choses et elle accepte ça comme une héroïne”.

Maëlle Millet est en forme pour les mondiaux. Aleksandra se montre positive et croit dans les chances de son élève, d’autant plus que les deux Françaises qui se battront pour le quota olympique sont très proches et le suspens restera présent jusqu’à la fin de la compétition : “Elles sont très serrées. C’est rare d’avoir trois Françaises du même niveau et c’est mieux, elles augmentent le niveau global”, pense Aleksandra. Elle admet que le niveau mondial ne cesse de croître. Chaque pays a des prétentions pour faire de bonnes places. À partir de la douzième place, tout peut se passer. C’est ainsi qu’une Française pourrait se glisser dans le top 18 ; tout dépendra des erreurs de chacune. “Avec Maëlle, on a fait le maximum, on ne peut pas faire plus sans la blesser. Elle a tout automatisé et fait des répétitions de folie. Elle a fait tout ce qu’il faut et mérite de se qualifier, mais si ce n’est pas le cas, ce n’est pas grave. On en a beaucoup parlé et je pense qu’elle est prête à entendre les deux. On va accepter ce qui était prévu pour nous par la fortune”, croit l’entraîneur Montpelliérain.

Aleksandra Konova qui espère rester encore longtemps à Montpellier conclut : “On adore être à l’entraînement et on se le transmet. Il faut que ce soit cela qui nous reste. D’après moi, c’est le plus important. On ne pourra pas changer le reste. On travaille fort et les résultats, on verra, parfois il y a de la chance. Avoir perdu son enfance, quitté sa famille, être à l’internat depuis onze et en plus pleurer tous les jours même si on va aux Jeux Olympiques, ça sert à quoi. Le plaisir, c’est le plus important”.

 

 

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