Elle aurait pu aller au bout de sa saison, elle aurait pu prendre part aux Elite à Lyon, et passer presque inaperçue. Mais Carolann Héduit a choisi d’annoncer sa fin de carrière alors qu’elle vient d’accrocher un nouveau titre de championne de France à Mulhouse. Avec son équipe, son clan, ses soutiens. Un aurevoir en combattante et gagneuse.
Carolann Héduit a fait ses premiers pas dans le Maine et Loire au club d’Angers Gymnastique. Très vite elle est identifiée et fait le choix avec sa famille de se diriger vers le club d’Avoine Beaumont Gymnastique. C’est ainsi qu’elle restera fidèle et loyale à un club qui l’a accueillie, formée et presqu’éduquée comme une deuxième famille. Elle n’avait pas 10 ans…
Depuis qu’elle a annoncé sa fin de carrière, les hommages sont unanimes, mais aussi très centrés sur le conflit qui opposait Carolann et son club avec la Fédération. Certes ce conflit a usé la gymnaste mentalement, psychologiquement et n’a pas permis de poursuivre ses entraînements avec la sérénité que tout sportif de haut niveau a besoin pour mener à bien ses objectifs de haute performance. Plus que tout autre sportif, elle a du faire face à des difficultés qu’elle n’aurait jamais du connaître, des paroles blessantes et des agissements inadmissibles et étouffants. Le soutien elle le puisait auprès des siens sur les bords de Loire, entre Maine et Vienne.
Mais ces dernières années de combat incessant ne doivent jamais faire oublier et encore moins faire passer au second plan la carrière aux quatre coins de la planète de l’angevine, devenue chinonaise. C’est d’ailleurs cela que la gymnaste veut mettre en avant aujourd’hui : son travail, ses réussites, sa loyauté.
Pour pouvoir avancer sans regret, il faut se remémorer le parcours, et des années exceptionnelles.
Une besogneuse peu épargnée par des blessures
Lorsqu’elle pose ses valises à Beaumont en Véron, Carolann est déjà dotée d’un fort caractère, et d’une envie de se dépasser hors du commun. Cette somme de travail qu’elle abat, cet engagement du quotidien auprès de Gina et Marc Chirilcenco, Carole Boin, Iulie et Cornel Adam mais aussi de toutes les gymnastes de toutes les générations qui se sont succédé aux côtés de Carolann, celles qui ont été un exemple pour elle, et celle pour qui elle est maintenant un exemple. Toutes celles qui ont porté le justaucorps d’Avoine le savent Carolann ne lâche rien, elle apprend, elle répète, elle acquiert, elle râle un peu parfois, mais c’est « l’école de SA vie » comme elle l’a déclarée dans son annonce sur instagram.
En 2017, elle intègre l’équipe de France junior, objectif Tokyo 2020, cela passe par des étapes compétitives durant l’olympiade, et un combat intense car le collectif France est dense et fort. Une intensité qui promet une bagarre de tous les instants et une émulation exceptionnelle. Elle s’affiche comme une prétendante au saut avec une double vrille, déjà, aux barres, avec un potentiel technique qui ne demande qu’à s’affirmer, et un contenu à la poutre et au sol exceptionnels.
En 2018, accompagnée de Claire Pontlevoy, sa coéquipière de club, et de Gina, elle s’envole pour les Championnats d’Europe junior de Glasgow. Une 5ème place en équipe, mais surtout elle rentre de l’Ecosse avec une médaille de bronze aux barres asymétriques, et l’envie de poursuivre sa progression.
Cette même année, elle qualifie la France pour les Jeux Olympiques de la Jeunesse qui auront lieu à Buenos Aires durant l’été. Elle obtient cette qualification à l’issue d’une compétition de haute volée, à Bakou. Mais elle ne pourra pas faire le déplacement en Argentine, victime d’une blessure à la cheville. Une blessure comme une traversée délicate qui rend l’avenir incertain. Malgré un retour lors du Massilia en fin d’année, les premiers pas en séniors sont jalonnés de difficultés physiques. Et finalement l’année 2020, lui permettra de se donner un souffle supplémentaire et d’affirmer son talent, de concrétiser le travail accumulé durant son parcours en junior, et de se révéler au grand jour, au bon moment.
Carolann une avoinnaise olympienne
2021, c’est une accumulation de titres pour Carolann. En Mars le club d’Avoine Beaumont remporte enfin le titre du Top 12 à Haguenau. Titre derrière lequel tout le club courrait depuis près de 10 ans.
Mais quelques semaines plus tard, en finale au sol des Championnats d’Europe, une frayeur aurait pu anéantir les rêves et les espoirs de Carolann. Une mauvaise réception, une inquiétude pour le genou, très vite un papa attentif et rassurant qui remercie la préparation physique qu’elle reçoit au quotidien « Carolann va bien, c’est le ménisque qui est comprimé. Heureusement la préparation de ses entraineurs la rende très forte physiquement… Le plus important c’est qu’elle va continuer et revenir plus forte … vous la reverrez bientôt », écrivait-il à l’époque.
Et bientôt c’est lors des Championnats de France Elite, où elle s’impose majestueusement, avec, en prime le titre à la poutre et au sol. Elle est idéalement lancée pour sa quête olympique.
En 2012, Youna Dufournet était devenue la 1ère olympienne locale, mais elle avait quitté le gymnase du Véron quelques mois auparavant pour l’INSEP. À Tokyo, Carolann Héduit représente son club, son territoire, en ne les ayant jamais quittés. Et si aucun de ses entraîneurs n’est autorisé à l’accompagner, elle aura su puiser dans son caractère, dans une préparation technique précise pour performer au plus haut-niveau : 12 mouvements présentés, 12 mouvements réussis. Une 12 ème place individuelle, une fierté à distance pour ses entraîneurs, sa famille, ses proches. Une apogée qui annonce de nouvelles grandes promesses à venir.
Carolann ne relâche pas la pression post olympique et elle se présente aux Championnats du Monde 2021, toujours au Japon. Une 9ème place au concours général, un top 10 mondial pour la petite angevine, qui fait sa place à l’international.
Et puis cette injonction de rejoindre un des deux centres de préparation olympique. Ce bras de fer qui s’entame, qui entame l’esprit, l’entraînement, la sérénité. Mais qui jamais n’ébréchera les objectifs, l’engagement, les valeurs de la gymnaste et de l’entourage. Un combat qui laissera des traces, un combat qui ne rend que plus beau et plus fort ce que Carolann a pu donner jusqu’à ce 1er Juin 2024.
Des combats et des médailles
Carolann poursuit son chemin, elle aborde 2022, avec l’intention de confirmer, l’intention de s’affirmer… contre vents et marées.
Avoine Beaumont confirmera son titre du Top 12. De son côté Carolann confirmera son titre de championne de France du concours général après un combat intense et émouvant avec Aline Friess, un respect, un challenge entre deux enfants, adolescentes, et maintenant jeunes femmes qui s’estiment, nées la même année, adversaires de toujours, ce qui ne rend que plus grande la compétition entre elles deux. Une médaille d’or, et un bouquet de fleurs comme une offrande au destin.
La saison se poursuit avec les Championnats d’Europe à Münich. Carolann obtiendra enfin la consécration européenne en senior, et si en junior c’est aux barres qu’elle avait décroché le graal, si en 2021 c’est au sol qu’elle fut finaliste, en 2022 c’est finalement à la poutre qu’elle prouvera sa stabilité et accrochera la médaille de bronze autour de son cou. Un beau coup, sans jamais de coup de barre de la part de celle dont on ne peut avoir que le coup de foudre ou le coup de cœur pour son cou de pied ! Une médaille coup de poing, et un coup de fouet pour prolonger la saison.
Pas de coup de barre, jusqu’à Liverpool et les championnats du monde dans la ville des 4 garçons dans le vent, c’est « Together » que l’Equipe de France a relancé sa préparation vers Paris 2024. On le sait maintenant ce sera la dernière apparition de Carolann Héduit en Bleu-Blanc-Rouge. « Let it be »…
Elle ira rechercher un second souffle en s’envolant quelques jours retrouver Mélanie De Jesus Dos Santos au Texas avant de revenir s’entraîner auprès des siens à Avoine début 2023.
De la chrysalide au papillon
Un second souffle, du temps on lui en donnera. Elle fera l’impasse sur le Top 12, même si elle est toujours aux côtés de l’équipe, à transmettre, à accompagner, à épauler.
Elle mènera finalement l’équipe de DN2 du club au titre à Lyon, et à la montée en DN1 (qui a été impossible suite à la rétrogradation de l’équipe TOP12), pour se relancer. Ainsi elle se présentera à Saint-Brieuc au Championnat de France Elite, mais trop loin de la gymnaste combattive et agressive sur les agrès. Lasse, et lassée des combats déjà. On pressentait un crépuscule de carrière, car celles qui l’ont vécue connaissent les ressources physiques et mentales qu’il faut pour assumer une préparation olympique. Elle s’est voulue mystérieuse durant cette année.
Carolann l’a souligné, ce n’est pas la fin de carrière dont elle rêvait. Des rêves elle en a vécu, elle s’est surtout donné les moyens de les vivre, de les vivre pleinement.
Un dernier titre avec son équipe, avec ses plus proches, une journée dorée, jusqu’au bout du justaucorps, dorée de la tête aux pieds… Entourée par ses coéquipières d’entraînement, par une bonne partie de la fameuse génération 2003 qui était là aussi, sur le plateau, à ses côtés, dans les gradins aussi… entourée par ses entraîneurs, ceux qu’elle n’a jamais voulu quitter, parce qu’elle se sentait bien, parce qu’ils l’ont fait grandir, parce qu’ils l’ont aidée à s’affirmer, parce qu’ils se faisaient confiance, mutuellement, inexorablement.
Un sol pour dernier au revoir, une médaille comme dernier merci réciproque. Un dernier coup de main, un dernier coup du sort, un dernier coup d’éclat…
Et si Carolann a rangé le justaucorps, elle n’oublie pas les valeurs qui l’accompagnent. Elle guide au quotidien les Avoinaises qui la regardent les yeux pleins d’étoiles, elle partage son expérience avec les scolaires du territoire, elle transmet son amour de la gymnastique avec tous ceux qui le lui demande, les valeurs qui l’ont construite…
Mais surtout elle sera présente (dans les gradins) aux Championnats de France Elite de Lyon, pour un dernier au revoir à toutes celles et tous ceux qui l’ont accompagnée, soutenue, aidée durant son parcours à travers les saisons, les compétitions, les grands moments, les moments difficiles…
À Avoine, Gina et Marc Chirilcenco ont accueilli une petite fille courageuse et intrépide, ils s’en sont occupés, des liens forts se sont noués entre eux, avec le club. Parfois quelques éclairs, faisant place à des arcs en ciel, souvent le soleil, la chrysalide s’est transformée en papillon, et s’envole maintenant pour poursuivre son chemin, déployer ses ailes, en paix avec elle-même, et avec les autres comme elle le déclare à Ouest France. « Je ne veux pas partir en conflit avec qui que ce soit. Je ne garde que le positif » … même s’il y a « trois quatre personnes haut placées » dont elle regrette le manque de soutien, ou les agissements.
Aujourd’hui Carolann va poursuivre son envol, sans jamais oublier que quelque part entre Vienne et Loire il y aura toujours une épaule ou une oreille pour un coup de main, ou un éclat de rire ! Car même si elle ne se voit pas devenir entraîneur, à n’en pas douter elle ne sera jamais loin de sa deuxième famille.